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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/211

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vaient touchée quelques jours auparavant n’en pouvaient croire leurs yeux… Les vieillards passaient, en tremblant, leurs mains sur la chair immaculée pour s’assurer qu’ils n’étaient pas le jouet de quelque subterfuge et que l’on n’avait pas dissimulé le signe sacré sous les poudres et sous les fards.

Dans un tumulte grandissant, le peuple réclamait Zina, le témoin qui avait été déjà récusé par Rouletabille et ce peuple se rappelait l’argument servi par l’étranger : « Si la petite princesse portait dès son plus jeune âge, le signe de la couronne, pourquoi sa nourrice n’en avait-elle rien dit et pourquoi, elle qui l’avait suivie dans toutes ses pérégrinations, avait-elle tant tardé à avertir les cigains que la queyra promise par les Écritures était née ? » Et tous réclamaient avec une grande force : « Zina !… Zina !… »

Alors Zina parut. Elle pouvait à peine se soutenir. Ce fut Rouletabille qui la conduisit à Odette, aux pieds de laquelle elle s’écroula et alors elle avoua en se tordant les mains :

— C’est vrai que celle-ci n’est pas la queyra attendue… C’est moi qui ai menti ! Elle n’avait pas le signe !… Ce sont mes maléfices qui le lui ont donné !… Mes maléfices le lui ont ôté… J’ai menti !… j’ai menti !

— Profanation ! s’écria le patriarche…

Toute la fureur des fidèles se tourna alors vers Zina. L’enceinte sacrée fut envahie et tandis que le patriarche faisait passer hâtivement dans la salle du grand conseil les principaux acteurs de ce drame à la fois politique et religieux et jusqu’à Jean qui, dès le premier moment, était accouru au côté de Rouletabille, la malheureuse gitane disparaissait dans l’effrayant remous de la marée populaire. Mais déjà elle n’était plus qu’une épave. Après son suprême aveu, ses lèvres avaient encore eu la force de murmurer : « Et maintenant je puis mourir ! » et elle était morte en effet, tournant un dernier regard vers celle qu’elle avait aimée comme une raya et qu’elle n’avait fait reine que pour la sauver…


VI

Quærens quem devoret (cherchant quelqu’un à dévorer)
(Épîtres)

Carnet de Rouletabille : « Ouf !… Ça y est !… je crois que nous en sommes sortis !… ça n’a pas été sans mal, par exemple, et c’était un peu risqué ! Je puis bien en faire l’aveu maintenant. Quand j’ai surgi au milieu du couronnement, je risquais gros, car je n’étais pas tout à fait sûr que le signe eût complètement disparu…

» Zina m’avait bien dit que depuis trois jours peu à peu il s’effaçait et qu’à l’heure du couronnement il n’en resterait plus trace… je n’étais pas complètement rassuré… En tout cas je pouvais encore m’en tirer avec les aveux de Zina, cherchant quelqu’un à dévorer. mais m’aurait-on laissé le temps de me faire entendre s’il était resté encore quelque trace du signe ? j’en doute !… Il ne faut pas jouer avec le fanatisme… Il faut avoir tout à fait raison, aux yeux des plus prévenus !… Il faut être aussi fort que le diable, pour lui tenir tête !

» En vérité, toute cette affaire est diabolique. Du moins, elle eût été jugée telle au moyen âge… Ce signe qui apparaît, disparaît, à la volonté d’une personne, comment l’expliquer sans l’intervention du