Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’étais à la noce pendant qu’on préparait son sacré mariage !… »

Et tout à coup, Rouletabille leur faussa compagnie. Il sortit en leur jetant : « Enfer et mastic !… Il fait chaud ici !… Je vais faire un petit tour !… »

Aussitôt dehors, il se mit à la recherche d’Hubert. La présence de celui-ci aux environs de l’hôtel des Balkans ne lui disait rien qui vaille. De toute cette aventure c’était l’ancien guardian qui sortait le plus meurtri, et Rouletabille le connaissait maintenant suffisamment pour savoir de quel baume il chercherait à panser ses blessures…

Il devait déjà manigancer quelque vengeance qui le paierait de sa déconvenue…

Une bonne catastrophe qui les engloutirait tous, aussi bien lui que les autres, ne serait point pour lui déplaire dans la rage où il devait être.

Cet homme, quelques heures auparavant, était tout-puissant ; maintenant, il n’était plus rien. C’était dans l’ordre des choses qu’il rêvât ardemment d’entraîner les fauteurs de sa ruine dans son néant. Du reste, la figure sinistre que Rouletabille lui avait vue ne faisait présager rien de bon.

Et pendant ce temps les autres continuaient de s’embrasser là-haut.

Rouletabille ne leur avait rien dit pour ne point interrompre un si charmant duo, mais il n’avait point tant fait pour leur bonheur sans que s’imposât à lui la nécessité de veiller sur son œuvre. Il se reprochait trop certains sentiments intimes pour qu’une nature droite comme la sienne ne courût pas au danger qui menaçait ses amis…

Où était Hubert ?… Rouletabille fit le tour du caravansérail sans le retrouver.

Il rentra à l’hôtel et y rencontra M. Tournesol qui l’arrêta au passage :

— Je suis heureux de vous voir pour vous féliciter, lui dit le courtier. Permettez-moi de vous offrir un petit cocktail de ma façon. Vous voilà sorti d’embarras, j’ai assisté à tout, c’est de la belle ouvrage ! Mais j’ai idée que vous n’allez pas moisir ici ? Faut-il vous rendre votre petit paquet ?

— Ma foi, non ! lui répondit hâtivement Rouletabille, qui ouvrait toutes les portes et regardait dans toutes les pièces… Tant que je ne serai pas revenu en France, gardez donc mon dépôt, on ne sait jamais ce qui peut arriver !…

— Assurément, méfiez-vous !… Je sais un certain monsieur qui ne doit pas vous porter dans son cœur !

— L’avez-vous vu par ici ? lui demanda le reporter.

— Il me semble avoir aperçu sa vilaine tête près de la porte du marchand d’étoffes syrien !… Mais il a disparu tout de suite…

Rouletabille le quittait déjà, l’autre le rappela :

— À mon tour de vous poser une question. Savez-vous où peut être Mme de Meyrens ?…

— Ma foi, non !… Vous en pincez donc toujours pour la dame ?…

— Mon Dieu, je crois que, de son côté, je ne lui suis pas tout à fait indifférent, seulement elle a des exigences qui sont incompatibles avec certaines idées vieillottes que feu mon père a inculquées à M. Tournesol fils…

— Et pourrait-on savoir quelles sont ces idées ?… demanda le reporter qui s’était