Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/215

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glissé derrière le rideau de la fenêtre, poste d’où il pouvait découvrir, sans être vu, toute l’enfilade des voûtes du caravansérail…

— Ce sont des idées sur l’honneur, M. Rouletabille !…

— Et pourrait-on connaître ces exigences ?

— Cette dame désirerait tout simplement que je lui remisse le paquet que vous m’avez confié !…

— Ah ! l’horrible femme !… Je vous demande pardon, M. Tournesol… mais il faut que j’aille voir là-haut si par hasard notre homme ne serait pas justement allé faire un tour chez Mme de Meyrens !…

Un quart d’heure environ après ce court dialogue, Rouletabille pénétrait en trombe dans la salle où Jean et Odette continuaient à se dire les plus douces choses devant un dîner auquel ils avaient à peine touché :

— Mes enfants, leur criait-il, il faut décamper sans retard !

— Que se passe-t-il donc ? interrogea Jean, fort ennuyé de l’irruption de Rouletabille.

— Il se passe que je viens de surprendre Hubert avec Mme de Meyrens, ici, tous les deux !…

— Ici ?…

— Oui, à deux pas !… j’ai pu saisir leur conversation… Hubert est en train de nous monter un sale coup ! Il l’a dit à la Pieuvre qui voulait en savoir davantage et qui le poussait à s’expliquer, il s’est contenté de lui répliquer textuellement !

» Vous serez contente ! et moi aussi, je vous le promets. Nous serons tous vengés avant une heure d’ici !…

» Vite ! vite !… mes enfants, partons !…

— Partons ! répéta Jean…

— Oh ! oui, quittons cet abominable pays ! soupira Odette. Mon Dieu ! moi qui croyais que tous nos malheurs étaient finis !…

— Mais comment avertir les muletiers ?… Et puis nous ne pouvons partir sans chevaux ! fit entendre Jean !

— Partons à pied ! sauvons-nous comme nous pourrons !… repartit Rouletabille qui était retourné à la fenêtre !… Entendez-vous ce tumulte ?…

Ce tumulte devint un ouragan… et qui se déchaîna avec une violence inouïe !…

Le caravansérail, muet et désert dix minutes auparavant, s’emplit d’une foule en délire, armée de fusils, vocifératrice, conduite par Andréa et Callista, cependant qu’à une des fenêtres de l’hôtel qui ouvrait sur la chambre où Jean avait jeté son léger bagage un des vieillards du grand conseil, que Rouletabille reconnut pour le fameux docteur de la Bibliothèque, avec lequel il avait déjà eu maille à partir, agitait un gros volume qui était bien connu aussi du reporter : le Livre des Ancêtres.

Il n’était point difficile de deviner ce que le vieillard criait au peuple, en même temps qu’il montrait le livre enfin retrouvé.

C’étaient les roumis qui l’avaient volé !…

Et où venait-il de retrouver ce livre sacré ? Dans le bagage de Jean !…

Derrière lui, on apercevait la figure pâle et fatale d’Hubert.

Rouletabille n’avait point besoin d’en voir et d’en entendre tant pour comprendre.

— Eh bien, nous sommes propres ! fit-il.