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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/226

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de son chapeau, de sa voilette et de sa perruque, apparaissait à tous les regards stupéfaits sous les traits de Rouletabille !…


III

Miserere, dit l’homme ; et, dans le ciel qui gronde,

L’air dit : Miserere ! Miserere !, dit l’onde…

Miserere ! Miserere !
(La Légende des Siècles.)

Cette tragédie trouvait sa fin logique dans cette comédie. Les fourbes seraient trop redoutables s’ils ne rencontraient à quelque carrefour non plus l’épée à deux tranchants, l’arme lourde pour laquelle ils ont toute une armure préparée, mais une épingle d’enfant qui les pique au ventre et les dégonfle comme baudruche. Une farce les jette à bas, et il faut se pencher pour regarder ce qui reste du monument formidable de toile peinte sorti de leur fabrique de mensonges.

À ce jeu de carnaval sanglant, Féodor et le docteur de la bibliothèque s’étaient assez curieusement prêtés. Rouletabille, ayant rapporté de l’hôtel les armes guignolesques dont il avait besoin pour mener à bout le seul stratagème qui pût les sauver, n’avait pas hésité à mettre dans la confidence le patriarche et le docte vieillard; et, ce faisant, il avait l’intuition qu’il était dans le bon chemin : Féodor, en vrai chef d’État, ne demandait pas mieux que de livrer au loup populaire réclamant sa proie une victime moins illustre que Rouletabille et moins cotée dans le monde diplomatique que Santierne (il avait déjà reçu à ce propos la visite du consul de Valachie) sans compter que la perte de ces deux jeunes gens entraînait celle d’une enfant qu’on avait voulu faire reine malgré elle, ce qui, dans tous les pays du monde, n’est un crime que pour les fauteurs de l’aventure… Or, dans cette aventure, le patriarcat n’avait-il point sa part de responsabilité ?

Voilà plus de raisons qu’il n’en fallait pour que finît par triompher la vérité ! Elle apparut éclatante, mais pour certains d’une façon si inattendue que Hubert, profitant du désarroi où les différentes transformations de Rouletabille avaient jeté la grande majorité de l’assemblée, pouvait se dégager d’Andréa, sauter sur la dalle d’une fenêtre, bondir dans un jardin… et entraîner derrière lui une troupe affilée à sa poursuite, qu’encourageait du geste et de la voix le patriarche lui-même.

Et pendant ce temps-là, que faisait Odette ?… Eh bien, elle éclatait de rire !… elle riait à Rouletabille qui n’avait pas encore eu le temps de se débarrasser de sa jupe et qui, ni homme ni femme, avait bien la mine la plus drôle du monde…

— J’avais bien dit qu’il n’y avait qu’à le laisser faire, notre petit Zo !…

— C’est donc ça, s’exclamait Jean, que tu tenais tant à ton petit bagage !… C’est donc cela, que tu avais déjà préparé ta petite histoire !… Il était tout prêt, ton petit déguisement !… Tu ne pouvais pas nous le dire !…

— Penses-tu ! grogna Rouletabille… c’est toujours la même chose ! Je t’aurais dit : « Attends-moi, je vais chercher le chapeau et la voilette de Mme de Meyrens », tu ne m’aurais pas attendu davantage… s’il n’y avait pas eu Odette !…