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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/227

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— Oui, mais il y avait Odette, dit celle-ci… et Odette n’a pas voulu partir sans son petit Zo !…

— Odette est un ange ! fit Rouletabille.

— Et moi ? demanda Jean.

— Toi, tu es un âne, comme tous les amoureux !

— Merci !… Eh bien, cet âne va te donner un bon conseil ! car cet âne imagine que lorsque Mme de Meyrens saura le tour que tu lui as joué…

— Laisse flotter les rubans ! fit Rouletabille… Ne crains rien ! nous n’allons pas moisir dans le pays !…

Et, étant redevenu un Rouletabille correct, il se présenta devant le patriarche et lui tint à peu près ce petit discours :

— Ou l’on rejoindra le coupable ou le coupable échappera ! Dans tous les cas, nous n’avons plus rien à faire ici, car, dans le premier, nous ne tenons nullement à assister à son supplice et, dans le second, il serait dommage qu’après avoir été reconnus innocents, nous assistions au nôtre !

Féodor trouva que c’était là le langage même de la sagesse et mit immédiatement tout en œuvre pour que Rouletabille et ses amis quittassent sans plus tarder sa capitale. Il couvrit du reste ce départ précipité de l’arrêté d’expulsion qu’il s’empressa de promulguer…

Pendant ce temps, on poursuivait toujours Hubert qui eut l’occasion, en ces minutes épiques, de déployer toutes les ressources, toute la force et tout le courage des héros les plus renommés de l’antiquité et du moyen âge… Tout se rejoint à travers le temps, ce qui revient à peu près à dire que rien ne change et que le temps lui-même n’est qu’une illusion. Mais ce cavalier fantastique, entouré d’une nuée d’ennemis qu’il déconfit à grands coups frappés sur un crépuscule de sang, comme s’il frappait à grands coups sur le soleil rouge, nous l’avons vu dans les plaines d’Ilion et dans les Cirques de la Mort de la Chanson de Roland et dans les plaines dorées de la Camargue avant qu’il ne meure, englouti par le gouffre sournois d’un marécage, aux confins du pays de la peste !…

Mort comme un héros, Hubert, dont l’amour avait fait un traître et que la mort régénéra… Ah ! ce fut une belle bataille : quel bondissement sur cet étalon qu’il débarrasse de son cavalier et qu’il lance comme un bolide à travers les poitrines qu’il renverse et l’émeute qui recule !…

Et puis voici les Portes franchies… et l’espace et le grand soir qui tombe et la fuite et la liberté peut-être !…

Mais non. Après les hommes, les bêtes ! La ruée des buffles sauvages qui viennent l’achever, le déchirer ! L’enfer lui a tiré les quatre sabots de son cheval et ne les lui rend plus !…

Et il descend, lui aussi, cavalier de la mort, au sombre séjour…

Un mouvement ne fait que précipiter la fin… Hubert meurt d’avoir aimé Odette et de n’en avoir pas été aimé… Il meurt pour un petit sourire de petite fille qui lui a été refusé !… Quoi qu’il ait pu faire : Miserere !… Miserere !… Miserere !!! Pauvres hommes !…