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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/231

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— Qui ? Odette ?

— Mais non, Callista… Callista est revenue !

— Ah ! ce n’est que ça ! fit le reporter en se laissant retomber sur son fauteuil… je le savais !…

— Comment, tu le savais et tu ne me le disais pas ?… Mais Callista ne peut être revenue à Paris que dans les pires intentions…

— Il y a des chances ! fit Rouletabille… mais tranquillise-toi, mon cher Jean… je me suis arrangé pour qu’elle n’y revienne pas seule, à Paris !… Cette pauvre Callista, elle aurait pu s’y ennuyer !…

— Et alors ?

— Quoi ? et alors ?… C’est tout !… Ne t’occupe pas du chapeau de la petite !… Ou plutôt emmène Odette tout de suite à Lavardens et marie-toi bien tranquillement !

— Je ne serai tranquille que si tu nous accompagnes !

— Eh bien, je vous accompagnerai ! là, es-tu content ?

— Odette aussi sera bien contente ! Mais dis-moi, Callista, réellement, tu ne crains rien ?

Rouletabille haussa les épaules…

— Aussitôt que j’ai su que Callista était arrivée à Paris (et je l’y attendais), je me suis arrangé pour qu’Andréa la rejoignît ! Il est arrivé ce matin, Andréa ! Il a déjà le grappin dessus, et je te prie de croire qu’il ne le lâchera pas !…

— Ah ! Rouletabille ! Rouletabille !… Tu penses toujours à tout !… Comment pourrai-je reconnaître jamais ?… Tiens, mon vieux Rouletabille, si jamais la Pieuvre t’embête — car c’est une idée fixe que j’ai qu’elle voudra se venger de la désinvolture avec laquelle tu as abusé de sa personnalité à Innsbruck et à Sever-Turn…

— Comme tu t’exprimes bien ! Abuser de sa personnalité !…

— Tu blagues !… Eh bien, fais-moi signe ! et tu verras si je serai un peu là !…

— Je n’en attendais pas moins de ta part, mon vieux Jean ! Je compte sur toi !… Enfer et mastic ! La Pieuvre n’a qu’à bien se tenir !…

… Et c’est quelques jours plus tard, dans la chapelle de Lavardens, trop petite pour contenir les amis qui y étaient venus sans avoir été invités, de bons vieux amis de la Camargue et de la Crau et du pays d’Arles, qu’eut lieu le mariage de Jean et d’Odette…

Tous les guardians des mas environnants et les pêcheurs des Saintes-Maries avaient tenu à apporter leurs vœux à la demoiselle du Viei Castou Nou qu’ils avaient vue courir si petite, accrochée à la crinière des poulains lâchés dans les sorgues… Quelques-uns se rappelaient que, dans ce temps-là, ce n’était pas un jeune homme de la ville qui l’accompagnait dans ses randonnées… Toutefois, le nom d’Hubert ne fut pas prononcé. Il y a des petites fées qui ne sont point faites pour le nez de certaines gens !… C’est très risqué de vouloir chevaucher derrière elles, hors de son marécage !… Il y a toujours quelque part un marécage qui vous prend et qui vous garde !… Il y a, quelque part, la chanson d’un grand troubadour qui dit cela à peu près :

« J’aime l’espace et je suis enchaîné ; dans les roseaux je vais nu-pieds ; l’amour est dieu et l’amour pêche ; tout enthousiasme, après l’action, est désappointé ! »

Ce Jean de Santierne est vraiment un joli parti… Il y a loin d’un valet de bestiaux à un garçon comme celui-là, si élégant, si fin et si riche, ma chère !… Je comprends que l’on soit fière à son bras ! Regardez passer Odette, messieurs !… Aujourd’hui, partout, du mas à l’église, chante le poète, les petits oiseaux de l’avenue ne la reconnaissent plus sous son blanc vêtement. « Quelle est cette petite sorcière ? » se disent-ils, et, tout effrayés, ils se méfient, puis, en l’épiant mieux, ils