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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/230

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— Tu es un gentil garçon !… Seulement cette fois, tu n’as pas deviné !… Les lettres existent, et ce ne sont pas des faux !… Les voilà !… ajouta-t-il, non sans une certaine émotion, en les sortant d’un tiroir… Je n’avais pas encore eu l’occasion de les rendre à Odette ! Je les remets à son mari !

Quant à Jean il était dans une agitation inimaginable.

— Odette ! Odette est venue ici ! chez toi !

— Oui, chez moi !…

— Et je n’en ai rien su !…

— Et tu n’en as rien su !… Calme-toi ! Jean !… je t’ordonne de te calmer… et regarde-moi !… Et ne fais pas la bête… Odette est arrivée ici, affolée de jalousie, voulant absolument savoir ce qu’il en était de toutes tes histoires d’amour avec Callista… et prête, comme une enfant, à tous les scandales… C’était une petite fille sauvage !… un être qui m’effrayait, car je ne la comprenais pas encore tout à fait, ignorant alors qu’elle fût cigaine… Ah ! je te jure qu’elle t’aime, car, à cause de cette Callista, elle te détestait bien !… Elle t’a détesté une heure pendant laquelle sa vieille gouvernante et moi avons eu bien de la peine à la calmer !… Songe qu’elle t’avait aperçu dans la rue, passant en auto avec Callista… Enfin, elle s’est mise à pleurer !… Alors il m’a été plus facile de la raisonner… je lui ai montré des lettres de toi d’où il ressortait clair comme une aurore à Lavardens que, depuis longtemps, tu en avais assez de Callista !… Enfin, j’ai pu la remettre dans le train avec sa gouvernante et c’est elle qui, honteuse, m’a fait promettre que je ne te parlerais jamais de son voyage à Paris… Maintenant, tu es au courant, mon vieux Jean… qu’y a-t-il encore pour ton service ?…


V. — Où l’on se retrouve à Lavardens pour une cérémonie qui ne surprendra personne

Quand ils ne se disputaient pas, ces jeunes gens s’embrassaient. Jean était si heureux de ce qu’il venait d’apprendre et ses petites affaires personnelles prenaient décidément une si charmante tournure qu’il embrassa Rouletabille à l’étouffer:

— Tu es le plus noble des amis !

— Pourquoi le plus noble ? protesta doucement Rouletabille en se dégageant. Je suis ton ami, voilà tout !

— Voilà tout ! mot sublime !… pontifia Santierne en s’essuyant les yeux… Eh bien, maintenant, je vais te le dire…

— Ne me le dis pas !… fit le reporter en lui ouvrant la porte… Tu n’as plus rien à me dire… Odette t’attend !… Va la rejoindre… Embrasse-la de ma part… et adieu !

— Comment, adieu !… Tu ne viendras pas à Lavardens !… Toi, Rouletabille, tu n’assisteras pas à la cérémonie ?…

— Mon vieux !… je veux aller me reposer quelque part… dans les environs… en Amérique…

— Si tu fais jamais ça… de partir pour l’Amérique avant que nous soyons mariés, eh bien !…

— Eh bien, quoi ?

— Eh bien, je croirai… Non ! je ne croirai pas… reprit-il tout à coup en voyant se dresser devant lui un Rouletabille d’une pâleur inquiétante… mais reste ! supplia-t-il…

— C’est bon; fit Rouletabille qui lui tendit une main glacée… je resterai…

Jean se sauva avec une dernière accolade à Rouletabille, que celui-ci reçut cette fois sans broncher et sans la rendre…

« Je resterai, puisqu’il leur faut encore ça ! »

Et il referma sa porte, se rejeta dans son fauteuil, ralluma sa pipe :

— Il est bien gentil !… fit-il tout haut… Elle aussi, elle est bien gentille !… ça fera un gentil petit couple !…

À ce moment, la porte se rouvrit et un Jean, complètement affolé se précipita :

— Rouletabille ! elle est là !…