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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/236

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mencement de l’affaire, Mme de Meyrens ça a toujours été toi !… Mais moi je t’ai vu en même temps que Mme de Meyrens !… Je t’ai vu parler à Mme de Meyrens !…

— Non, mon cher Jean… Tu n’as pas pu voir cela !… Tu as vu Rouletabille, déguisé en Mme de Meyrens, parler à… Ne me regarde pas comme ça ! Eh bien, oui, tu vas tout savoir !… Ce jour-là… ou plutôt ce soir-là… je me suis bien moqué de toi !… Je sortais de la prison d’Arles, sous le déguisement de Mme de Meyrens, et tu m’avais aperçu, et tu me suivais… et j’en étais fort ennuyé… et je me demandais si tu n’avais pas quelques soupçons de l’étrange comédie que je jouais… ce secret de la fausse Mme de Meyrens m’était trop précieux depuis des années et aussi trop dangereux pour que je pusse le confier à qui que ce soit, surtout à un impulsif comme toi, mon cher Jean… Je voulais donc le conserver pour moi… pour moi seul, et je résolus de dissiper tes soupçons si, par hasard, tu en avais eus… J’étais entré à l’hôtel du Forum… Tu étais resté sur la place à regarder mes fenêtres… Je te voyais… Ma chambre était encore plongée dans l’obscurité… Vite, avec un portemanteau, un traversin, le veston et la casquette de Rouletabille, je fabriquai un mannequin que j’assis sur une chaise, le dos tourné à la place, et j’allumai l’électricité comme si j’entrais, moi, Mme de Meyrens, dans la chambre où Rouletabille m’attendait… Et voilà comment tu vis Mme de Meyrens parler à Rouletabille… Y es-tu, maintenant ?

— Ah ! je te crois, que j’y suis !… J’y suis bien !… Nous y sommes tous !…

— Eh bien, et moi ? fit entendre la voix doucement pleurnicharde de M. Nicolas Tournesol… si vous croyez que je n’y suis pas !…

Cette fois, tout le monde éclata de rire… Il avait une si drôle de figure, ce pauvre Tournesol…

— Quand je pense, ajouta-t-il, que depuis le commencement du repas il me fait du pied sur mes engelures !… Ah ! je me souviendrai de mes conquêtes à Sever-Turn !…

— Consolez-vous, brave Tournesol ! lui jeta Rouletabille… vous avez trouvé en moi un ami… et ça vaut mieux quelquefois de trouver un ami que de trouver une femme !… et puis, comme femme, voyez-vous, je sens que je vous aurais trompé !… Maintenant, finissons-en avec Mme de Meyrens !… Elle a été fusillée une fois !… nous allons la noyer aujourd’hui !… J’espère qu’après ces deux exécutions elle sera bien morte !…

Et ils la noyèrent, en effet, d’abord dans les flots du champagne, ensuite dans l’étang où la petite boîte fut jetée après qu’on l’eut chargée de cailloux… pour que Mme de Meyrens ne remontât pas encore une fois à la surface !

Cette petite cérémonie venait à peine d’être terminée qu’on entendait l’appel du téléphone… La Candeur se précipita dans la pièce à côté puis revint presque aussitôt :

— Cette fois, c’est sérieux ! fit-il… c’est le patron lui-même qui téléphone du canard… « Dites à Rouletabille qu’il accoure !… Il s’agit d’élucider une affaire qui vient d’éclater et qui est extrêmement mystérieuse !… »

— Naturellement ! fit Rouletabille en se levant, le contraire m’étonnerait… mais il aurait pu attendre à demain… Quel métier !…

— Tais-toi donc ! lui jeta La Candeur, tu l’adores !… Mais cette fois, tu m’emmènes avec toi ?…

— Et moi aussi ! supplia Vladimir…

— Et toi ? reprit Rouletabille en se retournant du côté de Jean avec un bon sourire… Tu ne demandes pas à repartir avec moi ?

— Non !… fit Jean en lui serrant affectueusement les mains… Moi, je vais rejoindre Odette !…

— Embrasse-la de ma part et rends-la heureuse, mon bon Jean !… ou… ou… je te tue !…

— Tu ne me tueras pas !… Grâce à toi rien ne peut troubler notre bonheur… à moins…

— À moins ?…

— À moins que cette terrible Callista…

— As pas peur !… J’ai dit à Andréa de lui passer un anneau dans le nez !


FIN