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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/84

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IV. — Jean contre la Pieuvre

M. le juge Crousillat et M. le greffier Bartholasse s’étaient rendus ce soir-là (qui était le lendemain du jour où Hubert avait été mis en liberté) à la prison où étaient momentanément détenus les bohémiens que l’on avait encore interrogés dans l’après-midi même et qui, cette fois, avaient refusé catégoriquement de répondre à la moindre question. M. Crousillat avait demandé à voir le directeur de la prison.

Il n’était point de la meilleure humeur du monde, M. Crousillat : la presse ne lui était pas favorable. Les journaux du matin le tournaient en dérision. Cette histoire du clou assassin faisait rire à ses dépens et était présentée comme un nouveau triomphe de Rouletabille. Il ne pouvait sortir honorablement de cette maudite affaire qu’en prenant sa revanche avec Odette, c’est-à-dire en découvrant au plus tôt ce qu’était devenue Mlle de Lavardens. Quand il se trouva en face du directeur de la prison, un brave homme dans toute l’acception du mot, mais un administrateur sévère et très à cheval sur le règlement, il n’eut pas de peine à se faire comprendre de celui-ci. Puisque les prisonniers ne voulaient rien dire dans le cabinet du juge, il fallait les faire parler dans leur cachot.

Un mouton ? suggéra M. Mathieu, le directeur… Mais je n’y vois aucun inconvénient… Mais encore faudrait-il en avoir un ?

— Comment ! vous n’avez pas parmi vos détenus un garçon intelligent ?

— Je ne m’en suis jamais préoccupé, répondit le directeur ; ça n’est pas dans le règlement, et quand, dans certaines affaires, la police a eu besoin de faire intervenir un mouton, elle m’en a toujours procuré un !… Adressez-vous à la Sûreté… elle a envoyé ici des agents…

— Qui n’y sont plus ! répliqua avec un soupir M. Crousillat… Ils sont à la recherche de Mlle de Lavardens, sur tous les chemins, courant après toutes les roulottes… et peut-être la découvriront-ils avant moi !… Ah ! nous perdons bien du temps !…

— Pendant lequel Rouletabille se moque de nous ! acheva le vinaigre de M. Bartholasse.

— À propos de Rouletabille, dit M. Mathieu, il est venu me voir…

— Méfiez-vous ! s’écria le greffier… Que venait-il faire ici ?

— Visiter la prison… c’était pour son article, me disait-il… et pour sa… collection. Il paraît qu’il a visité et décrit toutes les prisons de France !

— Et vous l’avez laissé faire !…

— Non, monsieur ; pour moi, il n’y a que le règlement qui compte… et le nommé