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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/87

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Quand la Pieuvre était entrée, Callista était accroupie dans un coin, les coudes aux genoux sur sa jupe en loques, sa longue figure sauvage enfermée entre ses mains brûlantes, dans un état de dépression absolue… Qui l’eût vue dans le cabinet du juge d’instruction, tenant tête à Rouletabille et affichant une attitude indomptable, et l’eût aperçue ensuite seule dans son cachot, ne jouant plus la comédie ni pour les autres ni pour elle-même, se serait difficilement imaginé qu’il avait en face de lui la même femme.

Elle avait voulu se venger : elle l’était, mais tout n’en était pas moins perdu pour elle ! Son amour pour Jean ? Oui, sans doute, car elle croyait bien l’aimer !… mais si elle eût pu analyser avec sincérité les sentiments qui l’avaient fait agir, elle y eût trouvé plus d’orgueil froissé que d’amour ou désespoir… Ah ! Callista tombait de haut. Dans la simplicité enfantine d’une ambition démesurée, elle avait imaginé qu’elle serait vraiment un jour une grande dame et que cette grande dame s’appellerait Mme Jean de Santierne. Une telle pensée ne pouvait naître que chez une fille de la route, qui n’a encore rien connu de la vie civilisée et qui croit toutes distances franchies parce que, du jour au lendemain, elle s’est trouvée transportée de la roulotte natale dans un petit entresol des Champs-Élysées.

Sans rien dire à Jean, car si simple que fût son ambition dans son énormité elle ne s’en montrait pas moins d’une instinctive astuce, elle était venue plus d’une fois « incognito » à Lavardens… Elle avait voulu voir de loin son château, ses domaines, peut-être dans ses promenades solitaires, avait-elle rencontré la Zina, installée dans les environs depuis des années… Peut-être lui avait-elle confié ses rêves, ayant trouvé une alliée dans cette vieille femme de sa race… Tant est que l’on se rappela plus tard que celle-ci avait dit plusieurs fois à Odette :

— Marie-toi, mon enfant !… Marie-toi vite !

Mais comme elle lui avait dit cela en lisant dans les lignes de sa main, Odette n’avait fait qu’en rire.

Et maintenant Odette n’était pas mariée. Mais Callista ne l’était pas davantage. Ah ! si Odette roulait vers on ne sait quelle infernale aventure, qui savait jusqu’où celle de Callista la mènerait, elle aussi ?… Le cachot… la prison pour combien d’années… et si elle en sortait : Andréa !… Andréa qui lui faisait peur !… et qui ne la lâcherait plus !…

Mais voilà qu’au moment où elle croyait tout perdu, la Pieuvre apparaissait dans son cachot pour la sauver ! Elle n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles… Elle s’était dressée toute droite, ne trouvant pas un mot à dire, ne comprenant rien à ce qui se passait… La Pieuvre ?… Elle avait entendu dire que cette femme appartenait à la police… Ne devait-elle pas s’en méfier ?…

Mme de Meyrens ramassant les vêtements qu’elle avait apportés en cachette et