Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les dissimulant dans la paillasse de Callista s’était tranquillement assise sur l’unique escabeau de la cellule. Elle tira un élégant porte-cigarettes de sa pochette et le tendit ouvert à Callista :

— On en grille une ?… comme vous dites, je crois, à Montmartre. Vous savez : nous avons tout le temps… tout le temps que je voudrai, chère pauvre Callista !

Elle alluma les deux cigarettes et continua, seule, de parler :

— Vous ne dites rien, ma très belle, vous paraissez étonnée, il y a de quoi, assurément !… Vous voudriez bien savoir comment je suis ici… je ne vais pas vous faire languir plus longtemps et vous allez voir comme c’est simple !… Tout le monde dit que je suis de la police… je ne suis de la police que lorsque je le veux… la police me sert plus que je ne sers la police !… vous avez compris ?… Oui !… Alors, je veux vous sauver, alors je suis de la police, en règle tout à fait, et je suis introduite dans votre cachot pour vous faire parler !… pour que vous disiez où est Odette ?

— Ça, jamais !… à personne au monde, à personne, même pas pour me sauver…

— Je sais, en vérité… du calme, chère pauvre Callista !… puisque je vous dis moi-même que je suis de la police… c’est pour que vous sachiez… je suis, comme on dit dans le langage des prisons, un « mouton » pour vous faire parler… mais je ne veux pas vous faire parler… puisque je vous avertis que je suis le mouton… je suis le mouton pour la police, pour le directeur de la prison, pour le juge, pour tout le monde, mais je ne suis pas le mouton pour vous !

— J’ai compris ! fit Callista en hochant la tête.

— Tous mes compliments, chère belle !… Avec un peu de bonne volonté on arrive à tout, vous savez !… je suis censée, à vos yeux, être une grande dame, très dangereuse voleuse dans les musées… arrêtée cet après-midi… je vais vous dire, fit-elle en éclatant de rire, j’étais venue à Arles pour voler les arènes !… Vous riez aussi ?… Il faut !… Et maintenant, parlons sérieusement !…

» Aussitôt que je vais être partie et que l’on vous aura apporté votre souper, vous mettrez cet escabeau sur votre couchette et vous serez tout à l’aise pour limer le pauvre petit barreau qui vous empêcherait de sortir par cette pauvre lucarne !

— Avec quoi ? demanda Callista.

— Avec cette pauvre petite lime !

Et elle lui tendit une lime qu’elle sortit de la doublure de sa jaquette.

— C’est une opération qui ne vous demandera pas plus d’une heure au maximum…

— Et qui ne me servira à rien, fit Callista en jetant sa cigarette… Si c’est tout ce que vous avez trouvé !… Admettons que je sorte de cette cour ; il faut que je passe par une voûte grillée, et en admettant que je franchisse la grille de cette voûte, je tombe dans le chemin de ronde ; et enfin, pour sortir du chemin de ronde, il faut que je passe devant le greffe… Je ne vous parle pas de tous les gardiens que je rencontrerai en chemin… J’ai bien examiné cette prison… à chacune de mes entrées… Il n’y a rien à faire ici pour une prisonnière !…

— Assurément !… mais pour une personne libre ?

— Je ne suis pas libre !

— Vous l’êtes ! Écoutez-moi, chère petite impatiente Callista… Quand vous avez limé votre barreau, vous vous couchez et vous dormez tout à fait tranquillement, comme il convient à une personne libre… Le lendemain matin, on vous apporte votre déjeuner… et puis on repousse les verrous… Et vous voilà tout à fait chez vous… Personne pour vous déranger… Vous laissez tomber ces loques et vous revêtez les ha-