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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/89

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bits de manœuvre que je vous ai apportés… Vous enfoncez jusqu’aux yeux votre casquette et vous voilà transformée en apprenti maçon. Vous savez ou vous ne savez pas qu’en ce moment on travaille à la réfection du bâtiment de la cour C, où se trouve la cellule d’Andréa. Les travaux commencent à huit heures ; à huit heures et demie, un charreton plein de gravats sortira de cette cour C, traîné à la bretelle par un ouvrier… Il passera par votre cour et s’arrêtera quelques secondes sous votre lucarne… Il ne s’y arrêtera que si l’ouvrier a jugé que vous pouvez sauter de votre lucarne sans risquer d’être surprise… sinon il s’arrêtera un peu plus haut et ne parviendra sous votre lucarne que lorsque tout danger sera écarté… Alors n’hésitez pas, je vous dis… laissez-vous glisser et mettez-vous derrière le charreton, le poussant pendant que l’ouvrier tirera… Vous sortirez ainsi sans encombre, vous, le charreton et l’ouvrier, de la prison, je vous en réponds !… Une fois sortis, tout devient simple… une auto vous attendra au coin de la rue… et vous aurez fait du chemin quand on découvrira que vous vous êtes envolée !…

— Et vous êtes sûre de l’ouvrier ? questionna Callista, dont le cœur battait à coups précipités à cette évocation d’une évasion possible.

— Comme de vous-même… Cet ouvrier, c’est Andréa !…

— Ah ! soupira Callista.

— Vous auriez préféré vous sauver seule ? demanda à son tour la Pieuvre avec un sourire entendu.

— Je… je ne sais pas.

— Moi, je sais que vous aurez encore besoin de cet homme ! aussi je n’ai pas hésité à lui faire passer à travers sa vitre une lime et un petit complet pareil au vôtre par l’entremise du conducteur ordinaire du charreton… Du reste, Andréa était nécessaire dans la combinaison… Qui aurait conduit le charreton ? L’ouvrier que j’ai acheté ni aucun autre n’aurait voulu « rien savoir » comme vous dites !

— Vous croyez que j’aurai encore besoin de cet homme !

— Oui, Callista ! car vous n’en avez pas fini avec cette Odette.

— Oh ! ça… par exemple !

— Rouletabille et Jean sont déjà sur sa piste… sans compter Hubert qui court comme un fou derrière elle, décidé à briser tous les obstacles… et si vous voulez la garder, vous ne serez pas trop de deux, croyez-moi !

— Nous sommes toute une nation à la garder ! fit entendre Callista d’une voix sourde…

— C’est trop ! répliqua la Pieuvre en fronçant les sourcils… c’est trop… et ce n’est peut-être pas assez pour Rouletabille !…

Une heure plus tard, la Pieuvre sortait de la prison et se dirigeait vers la place du Forum. Dans son ombre, une ombre s’était glissée qui ne la quittait pas d’un pas… Cette ombre, c’était Jean.

Il vit Mme de Meyrens pénétrer dans l’Hôtel du Forum… Quelques instants, il resta sur la place à considérer la façade de l’hôtel. Deux fenêtres s’éclairèrent au premier étage.

Quelques secondes plus tard, il distingua, derrière les vitres, Mme de Meyrens qui s’avançait vers Rouletabille et lui tenait les propos les plus animés. La conversation tournait à la « scène ».

Jean de Santierne prit alors une grande décision. Il quitta la place du Forum pour aller trouver M. Crousillat, le juge d’instruction.