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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/91

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contre tout ce qu’ils pouvaient entreprendre.

Si Odette n’était pas encore délivrée, Jean était persuadé qu’ils en étaient redevables à la Pieuvre…

Aussi n’avait-il pu retenir un mouvement de haine en reconnaissant tout à coup, au coin d’une rue d’Arles, la silhouette détestée… Que faisait-elle à Arles ? Pourquoi semblait-elle se glisser furtivement le long des murs dans les rues étroites déjà mangées d’ombre ? Il l’avait suivie jusqu’à la prison ; là il avait attendu sa sortie près de deux heures… Que faisait-elle là-dedans ? Là étaient enfermés Andréa et Callista. Elle ne pouvait être entrée là que pour les revoir… qui était-elle en train de tromper ?…

Il avait pensé tout d’abord à avertir Rouletabille de l’événement et puis, quand, à la sortie de Mme de Meyrens, il avait été conduit en quelque sorte par elle-même jusqu’à cet hôtel où elle avait rendez-vous avec le reporter, Jean avait compris que cette femme avait décidément trop d’empire sur l’esprit de son ami pour qu’il fût possible de le convaincre de la fourberie de sa maîtresse.

Elle trouverait toujours quelque explication dont l’autre, dans son aveuglement, finirait par se contenter !…

Jean résolut donc de frapper un grand coup sans prévenir Rouletabille et de le sauver malgré lui.

Il savait où dînait M. Crousillat qui était célibataire et qui avait ses habitudes dans un petit cabaret renommé par la façon dont on y accommodait le lapin au sang et l’aïoli.

Il le trouva, commençant son repas, et peu disposé à entendre parler d’une affaire qui ne lui avait apporté que des désagréments. Sa méchante humeur s’augmentait de ce fait que le « mouton » recommandé par la sûreté n’avait rien donné ! et il eût volontiers envoyé au diable le jeune Santierne quand celui-ci eut annoncé qu’il avait une grave communication à lui faire.

— Laissez-moi au moins dîner, mon garçon ! grogna-t-il… entre vous et Rouletabille, on n’a plus un moment à soi.

— Monsieur, lui dit Jean, vous dînerez plus tard, car je crois que ce que j’ai à vous dire est de toute urgence.

Et sans plus de précaution, il dévoila à {{M.|Crousillat les liens qui attachaient Rouletabille à une certaine Mme de Meyrens, qui était l’amie de Callista ! Il n’en fallut pas plus pour que l’appétit, cependant formidable de M. Crousillat, fût un instant suspendu.

— Cette Mme de Meyrens, bien connue dans un certain monde, sous le nom de la Pieuvre, est notre pire ennemie à tous dans cette affaire et roule, si malin qu’il soit, Rouletabille lui-même !…

Un certain papillotement dans le regard de M. Crousillat devait certainement correspondre avec cette idée qui ne lui déplaisait point que Rouletabille fût enfin berné comme les autres… Mais cette satisfaction bien excusable chez un homme non dénué d’un certain amour-propre (sentiment généralement très développé chez les juges d’instruction) fit bientôt place à des préoccupations toutes professionnelles dès que Jean se fut expliqué davantage.

— Rouletabille a fait arrêter Callista… Je suis sûr, fit Jean, que cette Mme de Meyrens ne demanderait pas mieux que de la faire évader… je l’ai vue tantôt entrer dans la prison et elle y est restée deux heures !…

— Grands dieux ! souffla M. Crousillat,