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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/92

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en rejetant sa serviette… et nous qui l’avons introduite dans le cachot même de cette Callista !… Attendez-moi ici, jeune homme ! je cours à la prison et je reviens tout de suite !…

Sur quoi l’énorme M. Crousillat s’envola avec une légèreté qu’on n’eût pas attendue de lui.

Jean attendit beaucoup plus longtemps que ne le lui avait fait espérer le juge d’instruction et comme il avait faim et qu’il était assez satisfait de son initiative, il finit par manger le dîner de M. Crousillat. Celui-ci réapparut au bout d’une heure. Il se laissa tomber sur la banquette avec un gros soupir…

— Eh bien ? questionna Jean.

— Eh bien ! jeune homme… il était temps !…

Et le juge d’instruction s’épongea le front qui ruisselait…

— J’avais raison, n’est-ce pas ?

— Si vous aviez raison !… Ah ! mon ami, figurez-vous… mais où est donc mon dîner ?

— Monsieur, je l’ai mangé !

— Et vous avez bien fait… Était-il bon au moins ?

— Excellent !… permettez-moi, monsieur, de vous en offrir un autre !

— Jamais de la vie !… C’est moi qui paie ce soir ! Je vous dois bien cela !… Ah ! vous pouvez vous vanter de nous avoir tiré une fière épine du pied !… Vous ne savez pas ce que l’on a trouvé dans le cachot de ces deux brigands ?… Des limes et des habits de maçon !… Ah ! tout était prêt ! et comment !… La bohémienne était en train de limer les barreaux de sa cage quand on l’a surprise… Elle s’est défendue comme une enragée… Elle ne voulait pas rendre sa lime… Elle était comme une folle !… Après en avoir menacé les autres, elle voulait s’en frapper elle-même…

— Pauvre fille ! fit Jean tout bas.

— Comment !… Voilà que vous la plaignez !…

— Monsieur, elle a été mon amie, vous ne l’ignorez pas… Souffrez en effet, que je la plaigne, mais entre elle et ma fiancée, je ne pouvais hésiter… Il faut que nous la conservions sous la main… elle finira bien par parler ! Qu’en pensez-vous, monsieur ?

— Monsieur, je n’en pense plus rien et ne veux plus rien en penser ! cette affaire ne me regarde plus !

— Que voulez-vous dire, monsieur ?

— Vous le zaurez demain matin…

— Et pour cette Mme de Meyrens qui a tenté de faire évader les prisonniers, qu’allez-vous faire ?

— Moi, rien du tout !… Elle est trop chaudement recommandée et c’est l’affaire du directeur de la prison qui, lui, va faire quelque chose…

— Quoi donc ?

— Un rapport !…

— Adieu, monsieur ! fit Jean en se levant.

— Adieu, jeune homme, et merci !

Jean se rendit aussitôt à l’Hôtel du Forum où il eût bien voulu voir Rouletabille. Mais ni lui ni la Pieuvre ne se montrèrent.

Ils avaient pris deux chambres communicantes et Jean eut une chambre au-dessus d’eux.

Il se jeta tout habillé sur son lit et se fit réveiller au petit jour. Il se mit aussitôt à surveiller, de sa fenêtre, les entrées et les sorties… À sept heures seulement, il aperçut Mme de Meyrens qui quittait l’hôtel et traversait la place du Forum.

Il se rua sur ses traces…