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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/98

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Te remercie !… Eh bien, maintenant, mon vieux, faut nous lâcher !… Moi, j’ai fait un serment et je le tiendrai malgré tout ! je te ferai cadeau d’Odette !… mais c’est à une condition, c’est que tu vas me jurer, toi, que tu n’essaieras pas de me rejoindre, que tu vas rester à Lavardens et que tu n’en bougeras pas tant que tu n’auras pas reçu un mot de moi !… C’est compris, c’est bien entendu ?…

— Pardonne-moi, fit Jean en larmes et en lui tendant les mains !…

— Je te pardonne, imbécile !…

Il l’embrassa raide comme une balle puis le laissa planté là dans la rue, pendant qu’il avait pris ses jambes à son cou.

Cependant il se retourna au coin de la rue déserte et lui jeta :

— Et puis, tu sais, si tu vois la Pieuvre, ne lui dis pas où je suis passé !

Cinq minutes plus tard, qui eût pu dire où était passé Rouletabille ?


II. — Rouletabille et La Finette

La route est longue, sous le soleil, d’Arles à Aix ; l’ombre y est rare, en dehors de celle des poteaux télégraphiques. Cependant, de temps à autre, un petit boqueteau, un rideau de sapins, un alignement de cyprès rompt la monotonie ardente du paysage.

C’était le brigadier la Finette qui avait reçu l’ordre de transférer à Aix Andréa et Callista, et comme il devait en même temps mener à la gendarmerie de la vieille cité romaine deux chevaux qui venaient d’être achetés à Arles, il n’avait pas eu à émettre l’hypothèse qu’un voyage en chemin de fer, même avec un petit détour et avec tous les ennuis du changement de train, eût pu lui éviter bien de la fatigue et du tintouin.

Il prit avec lui son camarade Cornouilles et, dès la prime aurore, ils chevauchaient assez mélancoliquement de chaque côté de la route, ayant entre eux leurs deux prisonniers, menottes aux mains.

Ni les uns ni les autres ne parlaient. Cornouilles semblait dormir encore, la Finette fumait sa pipe, Andréa regardait à la dérobée Callista, d’un œil sombre et chargé d’amour ; quant à Callista, elle s’avançait dans la poussière de la route, droite et hautaine, semblant conduire toute la petite caravane.

On n’entendait que les pas sur la route, le cliquetis des gourmettes, le cri d’un vanneau qui s’envolait dans l’implacable azur à la recherche d’une eau rare…

Les gendarmes eux aussi avaient soif… Les premiers mots que prononça Cornouilles, réveillé, furent pour dire :

— Il y aura du bon à Salon…

En effet, ils devaient passer par Salon, y faire halte pour y remplir une courte mission et déjeuner… La Finette secoua le fourneau de sa pipe sur sa botte et répéta en y mettant l’accent :

— Oui, il y aura du bon à Salon !…

Et puis tout retomba dans le plus lourd silence. Soudain, comme le chemin faisait un coude et que l’on venait de passer un bosquet de tamaris, d’étranges figures firent leur apparition sur le talus…