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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/99

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Ils étaient bruns, avaient les cheveux lisses et la peau dorée, et étaient sales magnifiquement. Ils paraissaient les rois de la misère de par leurs loques orgueilleuses et leur calme stature, mais ils se portaient bien, gras de tout ce qu’ils avaient rencontré sur la route et de leurs visites sournoises dans les clapiers. Ils n’avaient pas peur des gendarmes, car ils avaient, quelque part, au fond de leur roulotte, des papiers en règle avec tous les pays du monde, qui leur donnaient quelques semaines de répit, le temps de gagner les frontières et de disparaître aux horizons.

En silence, ils regardaient (trois hommes et deux femmes et cinq petits démons arrachés de l’avant-veille aux mamelles sacrées de la louve cigaine)… en silence, ils regardaient passer le cortège sur la route poudreuse. Leurs regards se croisèrent avec Andréa et ils ne marquèrent aucun étonnement ni aucun regret de le voir dans ce triste état, les mains entravées. Malgré toute la révolte de leur cœur, ils restaient impassibles… Callista tourna la tête d’un autre côté… La Finette fit ruer vers eux son cheval en signe de mépris pour la Race qui avait toujours des papiers en règle avec tous les gendarmes de la terre… Cornouilles bafouilla : « Les sales gueules ! » À quoi Andréa entre ses dents répliqua par un « Noutchousia ! » qui était un encouragement à l’assassinat de la maréchaussée, mais comme Cornouilles ne comprenait pas le cigain, il n’y eut pas d’autre dommage ni incident pour le moment…

Les bohémiens regardaient le cortège passer, mais il y avait quelqu’un qui regardait les bohémiens, et quand ceux-ci, quelques minutes plus tard, eurent regagné leur campement, ce quelqu’un s’en vint droit sur eux… C’était un certain garçon à la peau ambrée, avec une moustache noire de violoniste hongrois… il venait d’un petit bois de châtaigniers qui ombrait les premières pentes conduisant à un prochain village, le premier avant Salon…

Les bohémiens, accroupis autour des restes d’un mouton faisandé, daignèrent tourner la tête…

Le nouveau venu avait des allures fort mystérieuses, se haussant de temps à autre sur la pointe des pieds pour voir si, au loin, sur la route, il n’y avait rien de nouveau…

La bande commençait à le reluquer avec une évidente hostilité quand il sortit de sa poche une certaine ferrure au bout d’un collier qui produisit aussitôt l’effet qu’il en attendait certainement.

Le signe !… marmottèrent les bohémiens dans leur charabia, et ils se levèrent