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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/378

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vénient de prolonger le travail d’exécution pendant dix ou quinze ans : le Canal de Suez, le chemin de fer du Saint-Gothard, le Canal de Panama, le tunnel sous la Manche, et d’une manière plus générale presque tous les grands travaux publics, chemins de fer, ports, etc. Le personnel des ouvriers occupés aura changé bien des fois pendant la période de construction. Les uns seront morts, d’autres auront été pris par le service militaire, d’autres auront préféré, au bout de quelques mois ou de quelques années, changer d’occupation. Conçoit-on que leur rémunération soit subordonnée aux résultats d’une entreprise d’une exécution aussi longue et dont le succès, d’ailleurs, dépend de causes si multiples et si diverses ? Prenons un exemple précis : il y a huit ans on adjugea à un entrepreneur les travaux de l’avant-port du Havre ; cette année même ils sont finis ; il faudra pour la liquidation des comptes deux ou trois ans ; il est vraisemblable que le personnel des ouvriers se sera singulièrement renouvelé pendant cette période décennale si l’on eût subordonné la rémunération de chacun d’eux aux bénéfices de l’entreprise, on n’eût trouvé aucun travailleur. La première pensée de chaque ouvrier, c’est d’avoir quelque chose de réel, de tangible, d’immédiat, et non une simple espérance, un simple titre sur l’avenir.

On répondra peut-être que les grandes entreprises dont nous parlons peuvent être morcelées en beaucoup de petites, au moyen de sous-traitants, de tâcherons, etc. Cela est vrai dans beaucoup de cas, non pas dans tous. Qu’il y ait parfois, souvent même, avantage à cette subdivision, à ce morcellement d’une entreprise considérable, on ne peut le contester ; mais il y a beaucoup de cas aussi où le travail purement en régie vaut mieux, convient mieux à toutes les parties, à l’entrepreneur et aux ouvriers.

Il y a ainsi deux raisons principales qui font du salaire, non pas le contrat unique, exclusif, mais le contrat le plus naturel entre l’ouvrier et l’entrepreneur, le contrat essentiel sur lequel quelques modifications heureuses peuvent venir se greffer : ces deux raisons, c’est que l’ouvrier, qui est sans avances, ne peut