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Page:Lettre de Marx Dormoy à Pierre Diot, 28 février 1915.pdf/3

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en août — abandonnèrent leur sac. C’était une faute paraît-il, mais bien d’autres soldats la commirent. Il fallait punir et comme on ne pouvait songer à sévir contre une centaine d’hommes, on demanda tout simplement au sort de désigner trois ou quatre d’entre eux pour être traduits devant le Conseil de guerre. C’est donc trois ou quatre qui payèrent pour une centaine. Voilà comment on pratique la justice à la guerre ! On peut toujours après cela demander un effort aux punis dans de telles conditions !

Constant ne serait pas embarrassé pour me répondre. Il me dirait ce qu’il m’a dit déjà : que la guerre étant une grande injustice entraîne forcément des injustices. La phrase est charmante, en vérité ! Mais elle est loin de donner satisfaction à ceux qui ont tout abandonné pour le salut de la France et que l’on traite aujourd’hui comme des esclaves.

Quand donc pourrons-nous recouvrer notre qualité d’homme ? Tu me demandes ce que ferait notre pauvre Jaurès s’il était là. Tu connais mon opinion. Oh ! sans doute, comme on l’a dit, il donnerait une impulsion plus forte à la Défense Nationale. Il ferait comme Gambetta, que dis-je il ferait mieux que Gambetta… Mais malgré tout il travaillerait, j’en suis bien sûr, à donner au monde une paix rapide.

J’ai lu avec intérêt l’autre jour le discours que Guesde a prononcé à la Conférence de Paris. J’ai admiré sa phrase brève et incisive qui anime une conviction inébranlable. En temps ordinaire je l’aurais certainement applaudi. Aujourd’hui je ne puis m’empêcher de le trouver trop absolu et je dis que le salut de l’humanité présente, ou plus exactement de ce qui reste de l’humanité, vaut bien j’imagine quelques concessions de forme.

Je t’embrasse bien fraternellement,

Marx Dormoy