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Page:Lettre de Marx Dormoy à Pierre Diot, 28 février 1915.pdf/2

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même pas le mérite de l’originalité. Lafargue prétendait qu’il ne faisait que répéter autrefois les discours de Guesde ; il n’a pas changé de méthode, car les articles du Petit Dauphinois ne sont que la réédition presque textuelle des articles que publie sur le même sujet M. Laskine dans Le Matin.

Tu as très bien démêlé la nature des sentiments qui m’agitent et qui animent également la grande majorité de ceux qui sont sur le front.

Il est hors de doute que les soldats sont découragés et qu’ils désespèrent. Cet état d’esprit est le même partout : dans les Flandres comme en Alsace. Ainsi Lépineux vient de m’écrire et sa lettre dénote une surexcitation extrême ; ses camarades et lui ont le désir impérieux d’en finir… C’est bien compréhensible : cette guerre dure vraiment trop. Si elle se continue longtemps encore nous nous préparons de terribles mécomptes ; le réveil sera mauvais. En effet, la réaction n’aura pas besoin de faire de grands efforts pour abattre la République de la cause de laquelle les ouvriers et les paysans qui étaient pour elle de solides soutiens, se désintéresseront complètement.

Nos ennemis politiques ou plutôt les ennemis de nos institutions ne s’y trompent pas ; ils savent que les travailleurs qui sont aux armées ne se rendent nullement compte des raisons qui les obligent à combattre et à mourir. Ils savent qu’une discipline imbécile a détruit chez eux toute idée de réflexion.

C’est que vois-tu, mon cher Pierre, pour faire comprendre aux hommes qu’il se battent pour le droit des peuples, pour l’indépendance des nations, pour la vie et l’avenir de la Démocratie dans le monde, il convient d’abord de démocratiser l’armée en abolissant à jamais les procédés de brutalité et d’humiliation qui ne devraient avoir leur place que dans les armées impériales du Kaïser.

Ce qui se passe ici est vraiment surprenant et combien démoralisant ! Pour un rien, alors qu’une observation suffirait, on menace du conseil de guerre des hommes de tout âge, même des territoriaux de 42 ans et plus que l’on soumet à une véritable discipline de caserne.

Cet état d’esprit à la fois ridicule et dangereux, domine au plus haut point les chefs qui sont chargés de prendre des sanctions. Le fait suivant t’en donnera la preuve ; je t’en garantis l’authenticité, il m’a été rapporté par un de mes amis, lieutenant au 86e d’infanterie :

Une centaine de soldats de ce régiment, au moment de la retraite de Sarrebourg — c’était