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Page:Lichtenberger - Novalis, 1912.djvu/19

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LA JEUNESSE DE NOVALIS

d’amitié en dépit (ou peut-être à cause) de son égoïsme profond et de sa sécheresse de cœur, accablé du sentiment de son isolement, hanté par des idées problablement sincères de suicide, affichant d’ailleurs un athéisme provoquant et décrétant comme Stirner ou Nietzsche, que l’homme supérieur doit être son propre Dieu. Son héros favori c’est à ce moment Hamlet en qui il voit une âme sœur de la sienne : Hamlet meurt victime de sa raison infinie ; si elle était moindre, il agirait en héros ; son essence intime est « un effroyable néant, le mépris du monde et de soi-même », sa destinée, la tragédie du désespoir héroïque. Et la vie extérieure du jeune Schlegel est aussi désordonnée que sa vie intérieure. Il se lie d’amitié avec Hardenberg ou encore avec un certain comte de Schweinitz dont il a fait la connaissance dans le monde où l’on s’amuse. Mais il met une telle passion dans ces amitiés orageuses qu’il ne tarde pas à se brouiller avec ceux qui en sont l’objet, ce qui provoque chez lui de véritables accès de désespoir. En amour il est plus malheureux encore. Il s’éprend d’une coquette à la fois provoquante et froide, se conduit vis-à-vis d’elle avec une insigne maladresse, témoignant tantôt d’une timidité déplacée, tantôt affectant au contraire une assurance plus déplacée encore ; et il réussit à faire ainsi d’une aventure qui pour un autre eût été une expérience peut-être intéressante, une espèce de drame