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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/110

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THUCYDIDE, LIV. I.

vous deviendrez non seulement leurs alliés, mais encore nos ennemis, d’alliés que vous étiez, puisque, si vous marchez avec eux, il faudra nécessairement que vous ne restiez pas tranquilles spectateurs du combat.

» Assurément, la justice veut que vous restiez neutres, et, si vous ne gardez pas la neutralité, que vous marchiez contre eux avec nous ; car un traité vous lie aux Corinthiens, et vous n’eûtes jamais avec les Corcyréens même un traité de trève. Ne faites donc pas une loi pour recevoir sous votre protection des rebelles. Quand les Samiens se soulevèrent contre vous, quand le Péloponnèse était partagé sur la question de savoir s’il fallait les secourir, loin d’appuyer de notre suffrage les suffrages qui vous étaient contraires, nous avons hautement soutenu que chaque nation a le droit de punir par elle-même ses propres alliés. Si vous accueillez et protégez des coupables, on verra plusieurs même de vos plus puissans alliés embrasser notre parti : ainsi vous aurez porté une loi contre vous-mêmes plutôt que contre nous.

Chap. 41. » Voilà nos allégations ; elles sont fondées sur les lois des Hellènes : quant à la faveur que nous sollicitons, n’étant ni assez vos ennemis pour la tourner contre vous, ni assez amis pour abuser de votre bienveillance, nous prétendons qu’elle doit nous être accordée à titre d’échange. Lorsque autrefois, avant la guerre des Mèdes, vous manquiez de vaisseaux longs contre les Æginètes, les Corinthiens vous en prêtèrent vingt. Ce bon office de notre part, celui que nous avons rendu contre les Samiens, en empêchant le Péloponnèse de les secourir, voilà ce qui vous a procuré la supériorité sur Ægine et la punition de Samos ; et ces services, nous les avons rendus dans des conjonctures où les hommes, tout entiers à la poursuite de leurs ennemis, négligent tout le reste, et ne voient que le besoin de vaincre. Alors, en effet, ils jugent ami quiconque les sert, eût-il été précédemment leur ennemi ; ennemi quiconque leur est contraire, se fût-il auparavant montré leur ami, parce qu’ils sacrifient même leurs plus chères affections à l’ambition du moment.

Chap. 42. » Réfléchissant tous sur ces vérités et sur ces faits que les jeunes gens apprendront des vieillards, luttez avec nous de bons offices. Et qu’on ne s’imagine pas que notre discours s’accorde avec la justice, mais que si la guerre survenait, il serait contraire à vos intérêts. Le véritable intérêt consiste à faire le moins de fautes. Or, elle est encore incertaine cette guerre à venir dont les Corcyréens vous font peur, et pour laquelle ils vous pressent d’être injustes. Serait-il digne de vous, cédant à la crainte qu’ils vous inspirent, de vous attirer, non la haine supposée prochaine, mais la haine déclarée des Corinthiens ! Il serait plus sage de faire oublier par degrés les défiances engendrées par l’affaire de Mégare. Un dernier service rendu à propos, fût-il même léger, peut effacer une grande offense. Ne vous laissez pas entraîner par l’offre d’une marine respectable : à n’être pas injuste envers ses égaux, on assure mieux sa puissance qu’à se laisser éblouir par une grandeur imaginaire qu’on élève au milieu des dangers.

Chap. 43. » Puisque nous sommes tombés sur ce que nous avons dit nous-mêmes autrefois à Lacédémone, qu’il est permis à chacun de punir ses alliés par lui-même, nous attendons de vous une réponse semblable. Favorisés de nos suffrages, ne nous lésez point par les vôtres. Rendez-nous la pareille, et