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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/113

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THUCYDIDE, LIV. I.

pour les amarrer, les carcasses des vaisseaux qu’ils pouvaient avoir coulés à fond, mais ils se tournèrent contre les hommes, et parcoururent la flotte ennemie pour massacrer plutôt que pour faire des prisonniers. Ils égorgeaient même leurs amis sans les connaître, ne sachant pas leur aile droite battue ; car depuis que les deux flottes s’étaient mêlées, comme elles étaient nombreuses et occupaient une grande étendue de mer, on distinguait difficilement les vaincus et les vainqueurs.

Ce combat naval fut, par le nombre des bâtimens, le plus mémorable combat d’Hellènes contre des Hellènes. Après avoir poursuivi les Corcyréens jusqu’à terre, les Corinthiens se mirent à recueillir les débris des vaisseaux et les morts. Ils en recouvrèrent la plus grande partie, qu’ils transportèrent aux Sybotes, port désert de la Thesprotide, où une armée de Barbares venait de leur apporter du secours. Ils se rallièrent ensuite, et firent voile de nouveau contre les Corcyréens. Ceux-ci vinrent à leur rencontre avec ce qui leur restait de vaisseaux en état de tenir la mer, et les bâtimens Athéniens : ils craignaient qu’ils ne tentassent une descente dans leur île. Il était déjà tard, et l’on commençait à chanter le pæan pour se préparer à charger, quand les Corinthiens, ramant en sens contraire, firent partir la poupe la première. Ils voyaient s’avancer vingt navires d’Athènes qu’on avait expédiés après le départ des dix autres, dans la crainte, ce qui était arrivé, que les Corcyréens ne fussent vaincus, et que ce fût trop peu des premiers vaisseaux pour les défendre.

Chap. 51. Les Corinthiens furent les premiers à les apercevoir ; ils en soupçonnèrent plus qu’ils n’en voyaient, ce qui les faisait reculer. Comme ces bâtimens venaient d’un côté où ne pouvait porter la vue des Corcyréens, ils ne les découvrirent pas, et la manœuvre des Corinthiens les étonnait ; mais enfin ceux des leurs qui les aperçurent les premiers, s’écrièrent qu’une flotte venait les attaquer. Aussitôt les Corcyréens firent retraite ; car le jour tombait ; les Corinthiens virèrent de bord et se retirèrent en désordre. Ainsi les deux partis se séparèrent. Le combat ne finit qu’à la nuit.

Les Corcyréens avaient leur camp à Leucimne, et les vingt vaisseaux d’Athènes, flottant à travers les morts et les débris de navires, y abordèrent peu de temps après qu’on les eut aperçus. Ils avaient pour commandans Glaucon, fils de Léagre, et Andocide, fils de Léogoras. Les Corcyréens, dans l’obscurité, avaient d’abord craint que ce ne fussent des vaisseaux ennemis ; mais dès qu’ils les eurent reconnus, ils les aidèrent à entrer dans la rade.

Chap. 52. Le lendemain, les trente vaisseaux d’Athènes sortirent du port avec ceux des Corcyréens qui étaient en bon état. Ils cinglèrent vers les Sybotes, où mouillaient les Corinthiens ; peut-être livreraient-ils une nouvelle action. Ceux-ci mirent à la voile et s’avancèrent en ordre de bataille ; mais arrivés en haute mer, ils restèrent dans l’inaction. Ils n’avaient pas envie d’engager une affaire, à la vue du renfort que venaient de recevoir les Athéniens. D’autres difficultés les arrêtaient : la garde des prisonniers qu’ils avaient à bord, et l’absence de tout moyen pour radouber, dans une solitude, ceux de leurs bâtimens maltraités. D’ailleurs, quel moyen d’effectuer une retraite ? Les Athéniens, depuis qu’ils en étaient venus aux mains avec eux, ne regarderaient-ils pas la trève comme rompue, ne s’opposeraient-ils pas à leur retour !

Chap. 53. Ils prirent le parti de faire monter sur une barque légère quelques