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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/250

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THUCYDIDE, LIV. IV.

compense. À travers mille dangers, des provisions étaient importées spécialement par les Hilotes. Partant de tous les points du Péloponnèse où ils pouvaient se trouver, à la chute du jour, ils se hâtaient d’aborder aux rivages qui regardent la pleine mer : surtout ils épiaient le moment où le vent les pousserait sur la côte ; car, lorsqu’il venait à s’élever de la haute mer, ils échappaient plus facilement à la vigilance des vaisseaux ennemis, qui alors ne pouvaient stationner autour de cette partie de l’île. Pour eux, sans ménager leurs frégates, dont la valeur était garantie, ils les précipitaient sur la rive, certains d’être reçus par les hoplites, qui montaient la garde aux endroits abordables ; mais les bâtimens qui osaient s’exposer par un temps calme, étaient pris. Du côté même du port, des plongeurs nageaient entre deux eaux jusqu’à l’île, traînant avec une corde des outres remplies de pavot assaisonné de miel et de graine de lin broyée. Dans les commencemens, ils passaient sans être aperçus ; mais ensuite ils furent surveillés de près. En un mot, de part et d’autre, on mettait tout en œuvre, les uns pour faire entrer des vivres, les autres pour que leur vigilance ne fût pas en défaut.

Chap. 27. Cependant on apprend à Athènes que l’armée a beaucoup à souffrir, et que l’ennemi trouve les moyens d’approvisionner l’île. On ne savait plus quel parti prendre. Tout se tournait en sujet de crainte et d’inquiétude. L’hiver allait accroître la difficulté de tenir la mer. Comment alors, en ce lieu désert, se procurer les choses nécessaires à la vie ? Comment les transporter en doublant le Péloponnèse, puisque même en été cet envoi était presque impraticable sur une côte d’un difficile abord ? Où les vaisseaux se tiendront-ils ? en rade ? Une surveillance continue deviendra impossible : les prisonniers alors ne seront plus tenus en échec, ou bien ils choisiront un temps orageux pour s’échapper sur les vaisseaux mêmes qui leur apporteront des vivres. Ce qui les effrayait le plus, était l’idée que les Lacédémoniens, se sentant un peu plus en forces, n’enverraient plus d’ambassadeurs pour la paix, et l’on se repentait de ne pas l’avoir acceptée. Cléon s’aperçut qu’il commençait à être vu de mauvais œil pour s’y être opposé. Il dit donc hardiment que le rapport de ces semeurs de nouvelles n’était qu’un tissu de faussetés. « Eh bien ! répondirent les courriers, si l’on ne veut pas nous en croire, qu’on envoie sur les lieux examiner l’état des choses. » On nomma Cléon lui-même, et on lui donna Théogène pour collègue. Ce choix plaçait le premier dans une position critique. Il lui faudrait donc, ou confirmer par son propre témoignage ces mêmes rapports qu’il avait déclarés infidèles, ou se voir lui-même convaincu d’imposture s’il s’obstinait à les démentir. Mais, comme à travers les regrets du peuple il crut entrevoir que les esprits penchaient encore plus pour la guerre, il prit le parti d’engager les Athéniens à renoncer à cette enquête, et à ne pas laisser se perdre en de vains délais l’occasion d’agir. « Si les nouvelles de l’armée, disait-il, vous paraissent véritables, équipez une flotte, et marchez contre cette poignée d’hommes. » Puis, pour désigner à mots couverts et rabaisser Nicias, fils de Nicératus, alors commandant et son ennemi personnel, il ajoutait : « Si les chefs étaient gens de cœur, il serait très facile, avec un nouveau renfort, de s’emparer de tous ceux qui sont dans l’île. Je vous en aurais bientôt rendu raison, moi, si j’avais le commandement. »

Chap. 28. Comme le peuple faisait entendre un murmure d’improbation,