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THUCYDIDE, LIV. V.

lui dérober sa marche : car il se doutait bien que, par mépris pour ce qu’il avait de troupes, Cléon monterait vers Amphipolis avec les forces dont il disposait. En même temps Brasidas se préparait à le recevoir avec mille cinq cents Thraces soudoyés, et tous les Édoniens, peltastes et cavaliers, qu’il venait de mander ; de plus, avec mille peltastes myrciniens et chalcidiens, sans compter ce qu’il avait encore de monde à Amphipolis. Il avait rassemblé en tout deux mille hoplites et trois cents cavaliers hellènes. De ces troupes, il n’avait à Cerdylium que mille cinq cents hommes ; le reste se trouvait, avec Cléaridas, à Amphipolis, rangé en ordre de bataille.

Chap. 7. Cléon jusque-là se tenait en repos ; mais il se vit forcé de faire ce qu’avait prévu Brasidas ; car ses soldats, fatigués de leur inaction, se livraient à de fâcheuses réflexions sur son commandement : considérant à combien d’expérience et de courage serait opposé tant d’ignorance et de lâcheté, et se rappelant avec quelle répugnance ils l’avaient suivi. Cléon entendait les murmures. Ne voulant point pousser à bout leur patience en les retenant trop long-temps à la même place, il décampe et les met en mouvement. La conduite qu’il tint fut la même qui lui avait réussi à Pylos, et qu’il avait estimée un chef d’œuvre de prudence : espérant, en effet, qu’on ne viendrait pas le combattre, il disait qu’il montait surtout afin de reconnaître la place [Amphipolis]. S’il attendait du renfort, ce n’était pas, disait-il, pour l’emporter au besoin par la sûreté des précautions, mais pour cerner la place et la forcer.

Arrivé sur une colline naturellement fortifiée et en face d’Amphipolis, il y campa. De là il contemplait les vastes marais formés par le Strymon, et la position de la ville à l’entrée de la Thrace. Il croyait pouvoir, à son gré, se retirer sans combat ; car personne ne paraissait ni sur les remparts, ni aux portes, qui toutes étaient fermées : en sorte qu’il se reprochait comme une faute de n’avoir pas amené les machines : il aurait, disait-il, emporté la place dans l’état d’abandon où elle se trouvait.

Chap. 8. Brasidas, aussitôt qu’il a vu les Athéniens se mettre en marche, descend de Cerdylium, et s’approche d’Amphipolis. Il ne voulait ni faire de sortie, ni se présenter devant l’ennemi en ordre de bataille. Il avait peu de confiance en son armée, qu’il jugeait inférieure, non par le nombre (sous ce rapport, les forces étaient à peu près égales de part et d’autre), mais par sa composition : en effet, l’armée athénienne était formée de citoyens d’Athènes et des meilleures troupes de Lemnos et d’Imbros. Il se préparait donc à attaquer par la ruse. En laissant voir aux ennemis combien ses troupes étaient peu nombreuses et mal armées (car les circonstances n’avaient pas permis d’y mieux pourvoir), il aurait cru rendre sa victoire plus difficile qu’en évitant de les montrer avant le combat ; l’état où elles se trouvaient ne pouvant inspirer que du mépris.

Prenant avec lui cent cinquante hoplites choisis, il laissa le reste à Cléaridas. Il se proposait d’attaquer brusquement les Athéniens avant leur retraite, n’espérant plus, s’il leur arrivait une fois des secours, trouver une semblable occasion de les combattre réduits à leurs propres forces. Il rassembla donc tous les soldats pour les encourager et les instruire de son projet, et il leur tint ce discours :

Chap. 9. « Braves Péloponnésiens, vous savez de quel pays nous venons ici : vous savez que, grâces à notre courage, il est toujours resté libre ; que vous êtes Doriens, et que vous allez