Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
THUCYDIDE, LIV. V.

combattre des Ioniens que vous avez coutume de vaincre : peu de mots suffisent pour vous le rappeler. Mais je vais vous communiquer mon plan d’attaque, de crainte qu’en me voyant n’exposer qu’un petit nombre de troupes et non la masse entière, vous ne jugiez mes moyens insuffisans, et que le découragement ne s’empare de vous. C’est par mépris pour nous, sans doute, et dans l’espérance que personne ne sortirait pour les combattre, que les Athéniens sont montés sur cette colline d’où ils nous contemplent négligemment et sans garder aucun ordre. Quand on sait remarquer de telles fautes chez les ennemis, et employer, pour les attaquer, une manœuvre convenable à ses forces, préférant, non une attaque ouverte et de front, mais celle dont la circonstance indique l’avantage, il est rare qu’on ne soit pas vainqueur. Ce sont (comme il est impossible de ne pas le reconnaître) de bien glorieux artifices que ceux par lesquels on trompe le plus habilement ses ennemis pour servir le plus utilement ses amis. Ainsi, pendant qu’ils sont encore dans le désordre et la sécurité, pendant qu’ils songent moins au combat qu’à une retraite déguisée, pendant qu’ils s’abandonnent à un certain relâchement d’esprit, je veux, sans leur laisser le temps d’asseoir leurs pensées, prévenir s’il se peut leur retraite, et, avec ces guerriers que j’ai choisis, me jeter à la course au milieu de leur camp. Toi, Cléaridas, lorsque tu me verras les charger, et probablement jeter parmi eux l’épouvante, prends avec toi les hommes que tu commandes, Amphipolitains et autres alliés ; ouvre subitement les portes, et jette-toi précipitamment dans la mêlée. C’est ainsi qu’on peut espérer de les battre : car des troupes qui surviennent après coup sont plus terribles aux ennemis que celles qui sont en présence et qui soutiennent le choc. Montre-toi vaillant comme il convient à un Spartiate. Et vous, alliés, suivez-le en braves, et songez que, pour bien faire la guerre, il faut avoir de la résolution, être sensible à l’honneur et docile à la voix de ses chefs. Pensez qu’en ce jour, si vous avez du courage, vous pouvez vous assurer, avec la liberté, le titre d’alliés de Lacédémone ; ou bien qu’esclaves d’Athènes, en admettant la chance la plus favorable, que vous ne soyez ni vendus ni tués, vous porterez un joug plus pesant que jamais, et deviendrez pour les autres Hellènes un obstacle à leur délivrance. Vous voyez pour quels intérêts vous combattez : ne faiblissez pas. Pour moi, je montrerai que, si je sais exhorter, je sais aussi agir et combattre. »

Chap. 10. Brasidas, après avoir frappé les esprits de ces importantes considérations, prépara sa sortie, et rangea, devant les portes appelées Thraciennes, les troupes qu’il laissait à Cléaridas, et qui en sortiraient au moment qu’il avait indiqué. On l’avait vu descendre de Cerdylium, sacrifier à Amphipolis dans l’hiéron de Minerve, et faire toutes ses dispositions : on l’avait vu, parce que, du dehors, les regards plongeaient dans la ville. Cléon s’était avancé pour considérer la place ; on lui annonce qu’on découvre dans la ville toute l’armée ennemie, qu’on aperçoit sous les portes les pieds de chevaux et d’hommes qui se préparent à sortir.

Sur cet avis, il s’avance : après avoir tout vu, ne voulant pas risquer de bataille décisive avant l’arrivée des auxiliaires, et quoique bien assuré qu’il ne pouvait cacher sa retraite, il donne le signal et commande que l’armée, en partant, entame la route par l’aile gauche pour aller sur Éione, manœuvre la seule praticable. Mais, la jugeant trop