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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/327

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THUCYDIDE, LIV. V.

votre inimitié attesterait notre puissance. »

Chap. 96. Les Méliens. « Vos sujets ont donc des principes d’équité tels, qu’ils croient devoir ranger dans la même classe ceux qui ne tiennent à vous par aucun lien, et ceux qui, parmi le grand nombre de peuples qui vous appartiennent à titre de colons, se sont révoltés et ont été subjugués ? »

Chap. 97. Les Athéniens. « Ils se croient, les uns et les autres, forts de ce qu’ils appellent la justice ; ils pensent en même temps que ceux qui se soutiennent contre nous, le doivent à leurs forces, et que la crainte seule nous empêche de les attaquer ; en sorte que, vaincus, en accroissant notre empire, vous l’affermiriez encore : à moins que, par miracle, vous insulaires plus faibles sans doute que les Athéniens, dominateurs des mers, et que d’autres peuples encore, vous ne veniez à remporter la victoire. »

Chap. 98. Les Méliens. « Vous ne croyez donc pas qu’il importe à votre sûreté de ne pas attaquer des peuples qui n’ont aucun rapport avec vous ? Eh bien ! puisque, sans nous permettre de vous présenter des motifs de justice, vous voulez que votre intérêt soit notre loi, il faut aussi qu’à notre tour, en vous instruisant de ce qui nous est utile, nous tâchions de vous fléchir et de vous démontrer que vous y trouverez votre avantage. Tous ceux qui sont restés neutres jusqu’à présent, comment ne les armerez-vous pas contre vous, lorsque, considérant ce qui se passe, ils croiront que quelque jour vous viendrez aussi les attaquer ? Par-là, que faites-vous autre chose qu’augmenter le nombre de vos ennemis actuels, et mettre ceux qui ne devaient pas l’être dans la nécessité de le devenir malgré eux ? »

Chap. 99. Les Athéniens. « Nous voulons commander aux insulaires : car ceux qui habitent le continent ne nous paraissent pas plus redoutables : rassurés par la liberté dont ils jouissent, ils ne doivent pas songer de sitôt à des précautions contre nous. Des insulaires qui, comme vous, n’ont point de maître, ou qu’irrite un assujettissement involontaire, voilà ceux que nous craignons : toujours enclins à former des projets inconsidérés, ils ne manqueraient pas de se jeter et de nous jeter nous-mêmes dans un danger manifeste. »

Chap. 100. Les Méliens. « Si les Athéniens, pour n’être pas dépouillés de l’empire, si leurs esclaves, pour s’affranchir de servitude, bravent de si grands périls, ne serions-nous point les plus lâches et les plus vils des hommes, nous qui sommes encore libres, de ne pas mettre tout en œuvre avant que de subir le joug ! »

Chap. 101. Les Athéniens. « Non, si la sagesse préside à vos délibérations : car il ne s’agit pas ici pour vous d’un combat à forces égales, où vous disputiez de courage, pour éloigner de vous l’ignominie ; vous avez à délibérer sur votre salut, et non pas à vous mesurer avec des adversaires bien plus puissans que vous. »

Chap. 102. Les Méliens. « Mais aussi nous savons que dans la guerre les succès se balancent souvent entre des forces très inégales. Si d’abord nous cédons, c’en est fait de nous ; en résistant, nous avons encore l’espérance de nous soutenir. »

Chap. 103. Les Athéniens. « L’espérance, consolatrice dans les dangers, peut faire beaucoup de mal à ceux qui risquent des forces surabondantes, mais elle ne les ruine pas entièrement : au lieu que ceux qui, d’un seul coup, hasardent tout leur bien (car, de sa nature, l’espérance est dépensière), ne la con-