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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/367

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THUCYDIDE, LIV. VI.

mis des tyrans : tout ce qui s’oppose au pouvoir absolu s’appelle parti démocratique ; or, c’est d’après cette tendance que s’est soutenue la considération qui m’a placé à la tête du peuple. Athènes se régissant par le gouvernement populaire, il était nécessaire de suivre le mouvement imprimé par les circonstances. Cependant nous avons tâché, quoique le champ fût ouvert à la licence, de nous faire une politique modérée. Mais il y eut dès les temps anciens, et il existe encore de nos jours, des gens qui entraînent la multitude aux plus méprisables excès : ce sont eux qui m’ont chassé. Tant que j’ai été à la tête des affaires, j’ai pensé qu’une république puissante et libre devait être maintenue dans l’état où on la trouvait. Quant à la démocratie en elle-même, tous les gens sensés la jugeaient ; moi-même j’étais aussi capable de l’apprécier que je serais à présent en état de m’en moquer : mais on ne dirait rien de nouveau sur ce mode de gouvernement et sur ses folles doctrines. Le changer cependant était une entreprise qui ne me semblait pas exempte de péril lorsque vous étiez à nos portes.

Chap. 90. » Voilà les faits relatifs aux préventions qui peuvent m’être contraires. Quant aux objets de votre délibération, sur lesquels, mieux instruit que personne, je vous dois des éclaircissemens, écoutez avec attention.

» Nous avons passé en Sicile pour essayer de nous soumettre d’abord les Siciliens, et après eux les peuples de l’Italie ; pour tenter ensuite d’assujettir Carthage et les pays de sa domination. Si ces projets eussent pu réussir en tout, ou du moins dans leur plus grande partie, nous devions alors attaquer le Péloponnèse avec les nouvelles forces qu’auraient ajoutées à notre empire les Hellènes de Sicile, un grand nombre d’étrangers soudoyés, et des Ibères et autres barbares réputés généralement les plus belliqueux de ces contrées. L’Italie fournit du bois en abondance, et indépendamment des trirèmes que nous avions déjà, nous en construisions un grand nombre, et nous assiégions le Péloponnèse ; et par mer, avec des vaisseaux, et par terre, en faisant des incursions avec des troupes de terre. Nous enlevions des villes par force, nous en investissions d’autres, et nous espérions, la suite de ces conquêtes, étendre notre empire sur tous les Hellènes. Quant aux subsides et aux vivres, les villes conquises devaient nous en fournir suffisamment, sans qu’il fût besoin de recourir aux finances d’Athènes.

Chap. 91. » Vous venez d’entendre de la bouche d’un homme qui doit les bien connaître, quels étaient nos projets dans l’expédition que nous venons d’entreprendre : les généraux qui restent les suivront s’ils peuvent. Apprenez maintenant que la Sicile ne peut tenir si vous ne la secourez. Les Siciliens, quoique manquant d’habileté, pourraient cependant, s’ils se réunissaient tous, échapper encore au danger : mais les Syracusains, isolés, déjà vaincus dans une bataille où ils avaient risqué toutes leurs forces, et contenus par une flotte ennemie, ne pourront résister aux troupes que les Athéniens ont transportées dans ce pays ; et, cette ville prise, on est maître de la Sicile, et bientôt de l’Italie. Dès-lors ce malheur dont je vous menaçais tout-à-l’heure, ne tardera pas à tomber sur vous. Croyez donc que vous n’aurez pas seulement à délibérer sur la Sicile, mais sur le Péloponnèse lui-même, si vous n’exécutez sans délai ce que je vais vous dire. Faites passer en Sicile une armée dont les hommes puissent être rameurs dans le passage et soldats à leur arrivée ; et, ce que je crois plus utile encore qu’une armée, envoyez pour général un