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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/368

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THUCYDIDE, LIV. VI.

Spartiate qui réunisse sous un même commandement tous les alliés qui sont actuellement dans ce pays-là, et qui contraigne au service ceux qui voudraient s’y refuser. Ainsi vos amis déclarés prendront plus d’assurance ; les peuples qui hésitent viendront à vous avec moins de crainte. Il faut en même temps pousser ici la guerre plus franchement ; alors les Syracusains, ne doutant plus de votre attachement, feront plus de résistance, et les Athéniens enverront moins de nouveaux renforts à leur armée. Fortifiez Décélie dans l’Attique : voilà ce que les Athéniens ont toujours le plus redouté ; voilà le seul malheur qu’ils croient n’avoir pas éprouvé dans la guerre. Or le plus sûr moyen de nuire à ses ennemis, c’est de leur faire le mal qu’on sait qu’ils redoutent davantage : car probablement ils connaissent et appréhendent ce qui peut leur nuire. Sans détailler les avantages que vous retirerez de ces fortifications et ceux dont vous priverez vos ennemis, je vais exposer en peu de mots les plus considérables. Ce pays abonde en richesses dont vous saisirez une part et dont l’autre portion viendra à vous d’elle-même. Les Athéniens perdront aussitôt le produit de leurs mines d’argent du Laurium, et tout ce que leur rapportent et le territoire et l’administration de la justice. Mais surtout ils verront diminuer les revenus qu’ils tirent de leurs alliés : ceux-ci dédaigneront de les leur payer, regardant dès-lors Athènes comme votre conquête.

Chap. 92. » De vous, Lacédémoniens, dépend l’exécution vive et prompte d’une partie de ce plan : pour moi, j’espère fort qu’il réussira, et, j’ose le croire, mon attente ne sera pas trompée. Ce que je demande, c’est qu’on ne prenne pas de mot une opinion désavantageuse, sur ce qu’autrefois je semblais aimer ma patrie, et que maintenant vous me voyez prêt à l’attaquer de tout mon pouvoir, de concert avec ses plus grands ennemis. Je demande encore qu’on n’attribue pas mes paroles à cette effervescence ordinaire à l’âme d’un proscrit. Un proscrit tel que moi fuit devant les méchans qui le persécutent, mais ne recule nullement à la pensée de vous servir, si vous prenez confiance en lui : je tiens moins pour adversaires ceux qui, ainsi que vous, ont, dans l’occasion, fait du mal à leurs ennemis, que ceux qui ont forcé leurs amis à devenir ennemis. L’amour de la patrie est un sentiment tout puissant sur mon âme quand la patrie me laisse vivre en sûreté dans son sein, et non plus alors qu’elle m’opprime. D’ailleurs je me considère, non comme allant attaquer une patrie encore existante, mais plutôt comme voulant reconquérir une patrie qui n’est plus. Le véritable ami de son pays n’est pas l’homme pusillanime qui, injustement exilé, s’abstient d’y rentrer à main armée ; mais le citoyen qui, à tout prix, et parce qu’il l’aime passionnément, s’efforce de recouvrer son héritage. Je vous invite donc, Lacédémoniens, à m’employer sans crainte dans les dangers, dans les plus rudes travaux. Vous ne pouvez ignorer, d’après la voix publique, que si Alcibiade ennemi vous a fait du mal, il pourrait aussi, étant votre ami, vous rendre de grands services, lui qui connaît et les intérêts d’Athènes, qui lui furent confiés si long-temps, et les besoins de Sparte, qu’il avait devinés et qui ont été l’objet constant de ses méditations. Songez à la haute importance de cette délibération : ne balancez pas à passer dans la Sicile et à marcher contre l’Attique. Dans l’une, avec peu de monde, vous sauverez votre pays ; dans l’autre, vous ruinerez la puissance actuelle d’Athènes et celle qu’elle pourrait acquérir par la