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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/37

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L’ordre convexe était employé afin de tromper l’ennemi et de lui cacher des forces supérieures. Si le centre suffisait pour soutenir et dissiper son effort, les ailes ne bougeaient ; s’il en était besoin, elles accouraient au secours du centre. Élien dit que c’était le plus beau et le plus artificieux.

À l’ordre carré de la cavalerie, on opposait l’embolon ou coin, que d’autres appellent tête de porc. Il avait des hoplites à toutes ses faces. Ce nom était emprunté à la cavalerie ; mais dans cette arme, la pointe se formait avec un seul homme, et dans le coin de l’infanterie on la composait de trois, parce qu’un seul n’aurait pas suffi pour combattre.

« Ce qu’on appelle le coin, dit Vegèce, est une certaine formation de soldats, qui se termine en pointe par le front, et s’élargit à sa base. Son usage est de rompre la ligne ennemie, en faisant qu’un grand nombre d’hommes lancent leurs traits vers un même endroit. À cette disposition on en oppose une autre qu’on appelle la tenaille, parce que sa figure ressemble à la lettre V. Elle se forme d’un corps de soldats bien serrés, qui reçoivent le coin, l’enferment des deux côtés, et l’empêchent d’entamer l’ordre de bataille. »

Si l’on voulait se faire une idée juste de cette ordonnance, il faudrait concevoir son front et ses ailes fraisés de longues piques qui les couvraient totalement. On y trouvait encore l’avantage d’éloigner de la portée des traits une partie de la phalange. Il se peut donc très bien que les anciens l’aient employée, et que leur embolon ou cuneus ait présenté un véritable coin, et non une colonne semblable aux nôtres.

Cependant plusieurs écrivains militaires, d’ailleurs très recommandables, ont douté qu’en présence de l’ennemi, il fût possible de passer subitement de l’ordre primitif à l’ordre triangulaire, et malgré la dénomination si exacte des anciens historiens et leur témoignage unanime, ils ont nié l’existence du coin.

Mais on ne doit point juger des armées grecques d’après les nôtres ; les manœuvres que nous regardons comme impossibles ou ridicules, pouvaient être, chez ces peuples, très faciles à exécuter, et produire un grand effet dans la pratique. C’est d’ailleurs une vérité généralement reconnue que toutes les dispositions qui sont en usage à la guerre, ont pris la dénomination des choses dont elles imitent la figure. Une expérience journalière ayant appris aux Grecs, dans les combats de mer, combien la rencontre des éperons était redoutable pour tout vaisseau qui s’en laissait frapper en flanc, ils auront pu imaginer que, sur terre, l’impulsion d’un corps de troupes figuré de la même manière ne produirait pas moins d’effet contre un autre corps présentant un front plus étendu et des parties moins unies. Nous verrons qu’Épaminondas, à Mantinée, se servit de cette disposition avec avantage.

L’infanterie, chez les Grecs, composait le fond des armées ; la cavalerie n’y fut jamais considérable, même sous Alexandre ; on la regardait comme accessoire. Pendant long-temps, la cavalerie combattit en escarmouchant ; il fallut bien des essais avant de la disposer en ordonnance serrée. L’ordre de bataille rhomboïde et celui en coin, l’un et l’autre formés par rangs ou par files, par rangs et files en même temps, furent d’abord employés ; mais le choc n’ayant lieu qu’avec les quatre premiers chevaux, la vitesse était subitement perdue, et l’effet produit avec cette ordonnance devenait moindre qu’engendré par la formation rectangulaire sur quatre ou six de profondeur. Aussi cette dernière disposition ne tarda-t-elle pas à être généralement