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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/428

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THUCYDIDE, LIV. VIII.

bre de leurs amis, le projet d’Alcibiade. Il leur semblait à tous d’une exécution facile, et digne de confiance ; mais il déplut à Phrynicus, alors encore général. Il croyait, et c’était la vérité, qu’Alcibiade ne voulait pas plus de l’oligarchie que de la démocratie ; qu’il n’avait d’autres vues, en changeant la constitution de l’état, que de tirer parti des circonstances pour se faire rappeler par ses amis. Il représenta qu’il fallait prendre garde de se jeter dans une guerre civile pour complaire au grand roi. Les Lacédémoniens étant devenus sur mer les égaux des Athéniens, et ayant des villes considérables sous la domination de ce prince, il était absurde d’imaginer qu’il se donnât de l’embarras en s’unissant aux Athéniens, dont il se défiait, tandis qu’il avait à sa disposition l’amitié des Péloponnésiens, qui ne lui avaient donné aucun sujet de plainte. À l’égard des villes alliées, à qui l’on promettait l’oligarchie quand les Athéniens eux-mêmes ne vivraient plus sous le gouvernement populaire, il se disait bien certain que celles qui s’étaient soulevées n’en reviendraient pas davantage à leur alliance, et que celles qui s’y trouvaient encore n’en seraient pas moins remuantes ; à la liberté, ces républiques ne préféreraient pas la servitude sous un état gouverné par l’oligarchie ou par la démocratie, ou qui adopterait l’un ou l’autre de ces deux régimes : ceux qu’on appelait les honnêtes gens penseraient que les novateurs, étant pour la multitude elle-même la cause et les artisans de mille maux dont ils tireraient leur avantage particulier, ne leur nuiraient pas moins que la multitude même ; qu’être sous leur joug, c’est mourir avec plus de violence et sans forme de procès, au lieu qu’on trouvait un refuge auprès du peuple, qui servait de frein à ceux-là. Il savait avec certitude que telle était la façon de penser des villes instruites par les faits mêmes ; en un mot, il n’approuvait rien de ce que proposait Alcibiade, ni rien de ce qui se passait.

Chap. 49. Ceux qui étaient du complot ne persistant pas moins dans leurs premières résolutions, accueillirent les propositions qu’on leur faisait, et se disposèrent à envoyer à Athènes Pisandre et quelques autres députés, pour y ménager le retour d’Alcibiade et la destruction de la démocratie, et pour rendre Tissapherne ami des Athéniens.

Chap. 50. Phrynicus, voyant qu’on allait parler du rappel d’Alcibiade, et que les Athéniens n’en rejetteraient pas la proposition, craignit, après tout ce qu’il avait dit pour s’y opposer, qu’Alcibiade, si en effet il revenait, ne le punît des obstacles qu’il aurait apportés à son retour. Pour se soustraire à ce danger, il envoya secrètement un exprès à Astyochus, qui commandait la flotte de Lacédémone et qui se trouvait encore à Milet. Il lui apprenait qu’Alcibiade travaillait à ruiner les affaires de Sparte et à rendre Tissapherne ami d’Athènes ; il ne lui parlait pas moins ouvertement du reste des affaires, ajoutant qu’on devait lui pardonner s’il cherchait à nuire à son ennemi, même au désavantage de la république.

Mais Astyochus, n’ayant plus, comme auparavant, de démêlés avec Alcibiade, ne conservait pas contre lui de ressentiment. Il va le trouver à Magnésie, près de Tissapherne, leur raconte à tous deux ce qu’on lui a mandé de Samos, et devient ainsi dénonciateur. Par cette démarche, il cherchait, dit-on, pour son intérêt particulier, à s’attacher Tissapherne : afin de réussir, il mit encore en usage d’autres moyens, tels que celui de n’agir que mollement pour faire payer aux troupes la solde entière. Bien-