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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/434

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THUCYDIDE, LIV. VIII.

l’un des meneurs, et en même temps complaire à Alcibiade, dont ils attendaient le retour et qui devait leur procurer l’amitié de Tissapherne. Ils avaient de même fait périr en secret plusieurs personnes opposées à leur parti. On avait déclaré ouvertement, dans un discours fabriqué d’avance, que désormais la solde des troupes serait le seul salaire payé par l’état ; qu’on n’admettrait au maniement des affaires que cinq mille citoyens, gens capables surtout de servir la république de leurs biens et de leur personne.

Chap. 66. La plupart goûtaient cet arrangement, qui donnait l’administration des affaires à ceux qui devaient opérer la révolution. Le peuple ne laissait pas de s’assembler encore, ainsi que le sénat de la fève ; mais ils ne statuaient que ce que les conjurés voulaient. Les orateurs étaient de ce corps ; et ce qu’ils devaient proposer était examiné d’avance. À la vue d’une faction nombreuse, tout le monde tremblait, personne n’élevait la voix contre elle. Quelqu’un en avait-il l’audace, on trouvait bientôt un moyen de s’en défaire. Nulle recherche contre les meurtriers ; nulle procédure, nulle poursuite contre ceux qu’on soupçonnait. Le peuple, immobile de stupeur, s’estimait heureux, même en se taisant, d’échapper à la violence. On croyait les conjurés bien plus nombreux encore qu’ils ne l’étaient, et les courages étaient subjugués : la grandeur de la ville, l’impossibilité de se connaître les uns les autres, ne permettaient pas d’en savoir le nombre. Aussi, malgré toute l’indignation dont on était pénétré, ne pouvait-on faire entendre ses plaintes à personne pour concerter un projet de vengeance ; il aurait fallu s’ouvrir à un inconnu, ou à quelqu’un de connu, mais dont on se défiait. En effet tous ceux qui composaient le parti populaire étaient suspects les uns aux autres, et se jugeaient réciproquement fauteurs de la conjuration ; car il y était entré des gens qu’on n’aurait jamais cru devoir se tourner vers l’oligarchie : ces défections étaient cause qu’on n’osait plus se fier à la multitude, et elles redoublaient la sécurité des oligarques par la défiance qu’elles inspiraient au peuple contre lui-même.

Chap. 67. Ce fut donc en de telles circonstances qu’arrivèrent Pisandre et ses collègues. Ils s’occupèrent aussitôt de ce qui restait à faire. D’abord ils assemblèrent le peuple, et ouvrirent l’avis d’élire dix citoyens qui auraient plein pouvoir de faire des lois. Ces décemvirs, à jour fixé, présenteraient au peuple la constitution qu’ils auraient dressée et qui leur paraîtrait la meilleure. Ce jour arrivé, ils convoquèrent l’assemblée à Colone, hiéron de Neptune, situé hors de la ville, à la distance d’environ quatre stades. Tout ce que les décemvirs proposèrent, ce fut qu’il serait permis à tout Athénien d’émettre l’opinion qu’il lui plairait, et ils portèrent de grandes peines contre celui qui accuserait l’opinant d’enfreindre les lois, ou l’offenserait d’une manière quelconque. Alors il fut ouvertement prononcé qu’aucune magistrature ne s’exercerait désormais suivant la forme ancienne, et qu’il ne serait plus affecté de rétributions pécuniaires ; mais qu’on élirait cinq présidens, électeurs de cent citoyens, dont chacun s’en adjoindrait trois autres ; que ces quatre cents, entrant au conseil, gouverneraient avec plein pouvoir, comme ils le jugeraient convenable, et qu’ils assembleraient les cinq mille quand ils le croiraient nécessaire.

Chap. 68. Ce fut Pisandre qui proposa ce décret, Pisandre qui montra ouvertement dans tout le reste un zèle ardent à dissoudre la démocratie. Mais

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