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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/435

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THUCYDIDE, LIV. VIII.

celui qui avait arrangé toute cette grande affaire, qui en avait amené le dénouement et qui l’avait préparé de longue main, c’était Antiphon, homme qui ne le cédait en vertu à aucun des Athéniens de son temps, qui pensait merveilleusement bien et exprimait de même ce qu’il pensait ; n’aimant à paraître ni dans l’assemblée du peuple ni dans aucune discussion publique : suspect à la multitude à cause de son énergique éloquence, il était, entre tant d’autres, le plus capable de rendre de grands services à ceux qui avaient de grands intérêts à défendre, soit dans les tribunaux, soit dans les assemblées du peuple, quel que fût le consultant ; et quand ensuite la faction populaire poursuivit les quatre cents, mis en cause dans l’affaire de ces mêmes hommes au pouvoir desquels il avait tant contribué, affaire où il s’agissait pour lui de la vie, il se signala par la plus éloquente des plaidoiries connues jusqu’au moment où j’écris. Phrynicus aussi se montra le plus zélé de tous pour le gouvernement oligarchique, par la crainte qu’il avait d’Alcibiade, qu’il savait être bien instruit de toutes ses menées avec Astyochus durant son séjour à Samos, et persuadé que jamais sans doute cet ambitieux ne reviendrait se soumettre à l’oligarchie : une fois prononcé pour cette révolution, il se montra le plus intrépide contre tous les dangers. Théramène, fils d’Agnon, tenait, entre ceux qui détruisirent l’état populaire, le premier rang par son esprit et son éloquence. Ainsi, quelque hardie que fût cette entreprise, conduite par un grand nombre d’hommes habiles, on ne doit pas s’étonner qu’elle ait réussi. Il était difficile en effet d’abolir dans Athènes la liberté dont le peuple jouissait depuis près d’un siècle qu’il avait expulsé les tyrans, un peuple qui non seulement n’avait pas l’habitude de l’obéissance, mais qui était, depuis le milieu de cette période, accoutumé à commander.

Chap. 69. Ces arrangemens une fois convenus sans aucune contradiction, l’assemblée se sépara après les avoir sanctionnés, et les quatre cents furent introduits dans le conseil de la manière que je vais rapporter. Tous les Athéniens, dans la crainte des ennemis qui étaient à Décélie, restaient toujours en armes, les uns sur le rempart, les autres aux corps de réserve. On laissa partir ce jour-là, comme à l’ordinaire, ceux qui n’étaient pas de la conjuration ; mais on avait averti en secret les conjurés de ne pas se rendre aux postes, de se tenir à l’écart : en cas d’opposition, ils prendraient les armes pour la réprimer. C’étaient des gens d’Andros et de Ténos, trois cents Carystiens, et de ces colons qu’Athènes avait envoyés peupler Égine. Ils étaient venus, suivant les ordres, armés à ce dessein. Ces dispositions faites, les quatre cents vinrent, chacun armé d’un poignard qu’il tenait caché ; ils étaient accompagnés de cent vingt jeunes Hellènes dont ils se servaient quand ils avaient besoin d’un coup de main. Ils surprirent au conseil les sénateurs de la fève, et leur commandèrent de sortir, en recevant leur salaire : ils leur apportaient la rétribution pour le temps qu’ils auraient eu encore à être en fonctions ; elle leur fut donnée à leur sortie.

Chap. 70. Les sénateurs se retirèrent humblement sans rien répliquer : les autres citoyens ne firent aucun mouvement, et tout resta tranquille. Les quatre cents entrèrent dans le conseil, prirent parmi eux des prytanes désignés par le sort, et procédèrent à leur inauguration en faisant les prières et les sacrifices d’usage lorsqu’on entrait en charge. Ayant fait ensuite de grands changemens au régime populaire, mais sans rappeler les exilés,