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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/444

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THUCYDIDE, LIV. VIII.

de nom, mais de fait. Sous ce langage politique se cachaient leurs véritables pensées. Dans leur ambition personnelle, la plupart d’entre eux se faisaient un principe d’après lequel se détruit nécessairement toute oligarchie qui succède à la démocratie : car, dès le premier jour d’une telle révolution, tous ne demandent pas seulement à se trouver, en un jour, égaux entre eux ; mais chacun veut s’y voir de beaucoup le premier : au lieu que dans la démocratie, où tout se fait par élection, on en supporte d’autant plus facilement les résultats, qu’on n’est pas humilié par des égaux. Le crédit d’Alcibiade à Samos les encourageait : ils croyaient ce crédit solide, et ne voyaient rien de stable dans l’oligarchie. C’était entre eux un combat à qui deviendrait le chef du gouvernement démocratique.

Chap. 90. Mais ils avaient pour adversaires les quatre cents, les chefs de l’oligarchie : Phrynicus, qui, lors de son commandement à Samos, avait eu des différends avec Alcibiade ; Aristarque, de tout temps plus opposé que personne à l’état démocratique ; Pisandre, Antiphon, et d’autres du nombre des hommes les plus puissans. En effet, dès qu’ils eurent établi le nouveau régime et eurent vu se résoudre en démocratie la constitution qu’ils avaient formée à Samos, ils dépêchèrent à Lacédémone des députés choisis dans leur sein, travaillèrent au raffermissement de l’oligarchie, et fortifièrent l’Éétionée. Mais ils furent encore bien plus ardens à soutenir leur ouvrage, quand, au retour de la députation qu’ils avaient envoyée à Samos, ils virent changer le plus grand nombre, et ceux même d’entre eux qui leur semblaient les plus sûrs. Au milieu des craintes que leur causaient l’intérieur et Samos, ils firent partir en diligence Antiphon, Phrynicus et autres, au nombre de dix, et leur recommandèrent de ménager une réconciliation avec les Lacédémoniens, à quelque prix que ce fût, pour peu que les conditions fussent supportables ; et ils continuèrent avec plus d’ardeur encore à fortifier l’Éétionée. L’objet de ces travaux, comme l’assurait Théramène et ceux de son parti, était, non de fermer l’entrée du Pirée à l’armée de Samos si elle prétendait y pénétrer de vive force, mais de recevoir, quand on voudrait, les ennemis par terre et par mer : car l’Éétionée forme l’un des deux promontoires du Pirée et c’est de ce côté qu’on entre directement dans ce port. On joignait donc le nouveau mur à celui qui existait déjà du côté de la terre ferme ; de manière qu’en y plaçant un petit nombre d’hommes, on commandait l’entrée du Pirée : car précisément à l’une des deux tours construites à l’entrée étroite du port se terminaient et l’ancien mur, qui traversait la terre ferme, et le nouveau, qui fermait l’entrée du port et entrait presque dans la mer. Ils élevèrent aussi, tout près de cette muraille, une galerie qui était très grande et voisine de la nouvelle construction qu’on venait d’exécuter dans le Pirée. Seuls maîtres de cette galerie, ils obligeaient d’y déposer le blé qui se trouvait dans la ville et celui qu’on amenait par mer : c’était de là qu’il fallait le tirer pour le mettre en vente.

Chap. 91. Voilà ce qui, depuis long-temps, excitait les murmures de Théramène ; et quand les députés furent revenus sans être parvenus à un accommodément général, il soutint que la construction de ce mur pourrait amener la perte totale de la ville. En effet, dans ces circonstances, à l’invitation des Eubéens, quarante-deux vaisseaux sortis du Péloponnèse (dont quelques-uns venaient de chez les Tarentins et les Lo-