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XÉNOPHON, LIV. I.

vous louer de moi. » À ces mots les soldats conçurent de grandes espérances, et firent des vœux pour le succès de l’entreprise. On dit que Cyrus envoya à Menon de magnifiques présens. Ce prince traversa ensuite le fleuve à gué, et toute l’armée le suivit. Personne n’eut de l’eau au-dessus de l’aisselle. Les habitans de Thapsaque prétendaient que l’Euphrate n’avait jamais été guéable qu’alors, et qu’on ne pouvait le traverser sans bateaux. Abrocomas, qui précédait Cyrus, les avait brûlés pour empêcher le passage du prince. On regarda cet événement comme un miracle. Il parut évident que le fleuve s’était abaissé devant Cyrus comme devant son roi futur.

On fit ensuite en neuf marches cinquante parasanges à travers la Syrie, et l’on arriva sur les bords de l’Araxe. Il y avait en cet endroit beaucoup de villages qui regorgeaient de blé et de vin. On y séjourna trois jours, et on s’y pourvut de vivres. L’armée passa ensuite en Arabie, et ayant l’Euphrate à sa droite, fit en trois jours trente-cinq parasanges dans un pays désert, uni comme la mer et couvert d’absynthe. S’il s’y trouvait d’autres plantes ou cannes, toutes étaient odoriférantes et aromatiques ; mais il n’y avait pas un arbre. Quant aux animaux, les plus nombreux étaient les ânes sauvages. On voyait aussi beaucoup d’autruches. Il s’y trouvait encore des outardes et des gazelles. Les cavaliers donnaient quelquefois la chasse à ce gibier. Les ânes, lorsqu’on les poursuivait, gagnaient de l’avance et s’arrêtaient, car ils allaient beaucoup plus vite que les chevaux. Dès que le chasseur approchait, ils répétaient la même manœuvre, en sorte qu’on ne pouvait les joindre, à moins que les cavaliers, se postant en des lieux différens, ne les chassassent avec des relais. La chair de ceux qu’on prit ressemblait à celle du cerf, mais était plus délicate. Personne ne put attraper d’autruches. Les cavaliers qui en poursuivirent y renoncèrent promptement, car elles s’enfuyaient en volant au loin, courant sur leurs pieds, et s’aidant de leurs ailes étendues, dont elles se servent comme de voiles. Quant aux outardes, en les faisant repartir promptement on les prenait avec facilité ; car elles ont, comme les perdrix, le vol court et sont bientôt lasses. La chair en était exquise.

Après avoir traversé ce pays, on arriva sur les bords du fleuve Mascas, dont la largeur est d’un plèthre. Là était une ville nommée Corfote, grande, mal peuplée et entourée des eaux du Mascas. On y séjourna trois jours, et l’on s’y pourvut de vivres. De là, en treize jours de marche, l’armée fit quatre-vingt-dix parasanges dans le désert, ayant toujours l’Euphrate à sa droite, et elle arriva à Pyle. Dans ces marches, beaucoup de bêtes de somme périrent de disette, car il n’y avait ni foin ni arbres, et tout le pays était nu. Les habitans fouillaient près du fleuve et travaillaient des meules de moulin. Ils les transportaient à Babylone, les vendaient, en achetaient du blé, et vivaient de ce commerce. Les vivres manquèrent à l’armée, et l’on n’en pouvait plus acheter qu’au marché Lydien, dans le camp des Barbares de l’armée de Cyrus. La capithe de farine de blé ou d’orge coûtait quatre sigles. Le sigle vaut sept oboles attiques et demi, et la capithe contient deux chénix attiques. Les soldats ne se soutenaient qu’en mangeant de la viande. Il y eut de ces marches qu’on fit fort longues, lorsqu’on voulait venir camper à portée de l’eau ou du fourrage. Un jour, dans un chemin étroit, où l’on ne voyait que de la boue et où les voitures avaient peine à passer, Cyrus s’arrêta avec les plus distingués et les plus riches des Perses de