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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/472

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XÉNOPHON, LIV. I.

sa suite ; il chargea Glus et Pigrès de prendre des pionniers de l’armée des Barbares, et de tirer les chariots du mauvais pas. Ayant trouvé qu’ils s’y portaient avec peu de zèle, il ordonna comme en colère aux seigneurs perses qui entouraient sa personne de dégager les voitures. Ce fut alors qu’on put voir un bel exemple de subordination. Chacun jeta aussitôt sa robe de pourpre sur la place où il se trouvait, se mit à courir comme s’il se fût agi d’un prix, et descendit ainsi un côteau qui était assez rapide. Quoiqu’ils eussent des tuniques magnifiques, des caleçons brodés, et que quelques-uns portassent des colliers et des bracelets précieux, ils sautèrent sans hésiter, ainsi vêtus, au milieu de la boue, et soulevant les chariots, les en dégagèrent plus promptement que l’on ne l’aurait cru. En tout Cyrus accéléra évidemment autant qu’il le put la marche de son armée, ne séjournant que lorsque le besoin de se pourvoir de vivres, ou quelque autre nécessité l’y contraignait. Il pensait que plus il se presserait d’arriver, moins il trouverait le roi préparé à combattre ; que plus il différerait au contraire, plus Artaxerxès rassemblerait de troupes contre lui, et quiconque y réfléchissait, sentait que l’empire des Perses était puissant par l’étendue des provinces et par le nombre des hommes, mais que la séparation de ses forces et la longueur des distances le rendaient faible contre un adversaire qui l’attaquerait avec célérité.

Sur l’autre rive de l’Euphrate, et vis-à-vis du camp que l’armée occupait dans le désert, était une grande ville florissante. On la nommait Carmande. Les soldats y achetaient des vivres, passant ainsi sur des radeaux. Ils remplissaient de foin et de matières légères les peaux qui leur servaient de couvertures. Il les joignaient ensuite et les cousaient de façon que l’eau ne pût mouiller le foin. C’est sur cette espèce de radeau qu’ils passaient le fleuve et transportaient leurs vivres, du vin fait avec des dattes et du panis, car c’était le grain le plus commun dans ce pays. Une dispute s’étant élevée en cet endroit entre des soldats de Menon et d’autres de Cléarque, Cléarque jugea qu’un soldat de Menon avait tort et le frappa. Celui-ci de retour à son camp s’en plaignit à ses camarades, qui s’en offensèrent et devinrent furieux contre Cléarque. Le même jour ce général, après avoir été au passage du fleuve et avoir jeté les yeux sur le marché, revenait à cheval à sa tente avec peu de suite et traversait le camp de Menon. Cyrus était encore en marche et n’était pas arrivé au camp. Un des soldats de Menon, qui fendait du bois, voyant Cléarque passer, lui jeta sa hache, et le manqua. Un autre soldat lui lança une pierre ; un autre l’imita, et un grand cri s’étant élevé, beaucoup de soldats lui en jetèrent. Cléarque se réfugie dans son camp, crie aussitôt aux armes, et ordonne à ses hoplites de rester en bataille, les boucliers devant leurs genoux. Lui-même avec les Thraces armés à la légère et les cavaliers (car il y en avait dans le corps qu’il commandait plus de quarante, dont la plupart étaient Thraces), lui-même, dis-je, marche contre la troupe de Menon, qui étonnée, ainsi que son chef, court aux armes. Quelques-uns restaient en place ne sachant quel parti prendre. Proxène, qui par hasard avait marché plus lentement que les autres, arriva enfin à la tête de ses soldats. Il les fit avancer aussitôt entre les deux troupes, quitta même ses armes, et supplia Cléarque de ne pas se porter à ces extrémités. Cléarque, qui avait pensé être lapidé, s’indigna de ce que Proxène parlait avec modération de cet événe-