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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/486

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XÉNOPHON, LIV. II.

minuit au camp d’avant la bataille qu’occupaient Ariée et ses troupes. Les Grecs ayant pris leurs rangs, et posé ainsi les armes à terre, leurs généraux et leurs chefs de lochos allèrent trouver Ariée. Les Grecs, Ariée et les principaux de son armée se jurèrent de ne point se trahir les uns les autres ; mais de se secourir loyalement en toute occasion. Les Barbares jurèrent de plus qu’il conduiraient les Grecs sans fraude ni embûches. Ces sermens furent proférés après qu’on eut immolé un sanglier, un taureau, un loup et un belier ; les Grecs trempant leurs épées, et les Barbares leurs lances, dans un bouclier plein du sang des victimes. Après s’être donné réciproquement ces assurances de fidélité, Cléarque parla ainsi : « Puisque nous entreprenons ensemble la même retraite, dites-nous, Ariée, ce que vous pensez sur la route qu’il nous faut suivre ? Choisirons-nous celle que nous prîmes en venant, ou en imaginez-vous une meilleure ? — Nous mourrions de faim, répondit Ariée, si nous revenions par le même chemin : il ne nous reste plus de vivres. Dans les dix-sept dernières marches que nous avons faites pour arriver ici, nous n’avons rien trouvé dans le pays, ou nous avons consommé en passant le peu qui y était. Mon projet est de me retirer par un chemin plus long mais mieux approvisionné. Il nous faut faire, les premiers jours, des marches aussi longues qu’il sera possible, pour nous éloigner de l’armée du roi ; si nous gagnons une fois sur lui, deux ou trois marches, il ne pourra plus nous joindre. Car nous suivre avec peu de troupes, c’est ce qu’il n’osera pas. Avec un grand nombre il ne pourra avancer autant, et peut-être l’embarras des vivres le retardera-t-il encore : tel est, dit Ariée, mon avis. »

Ce projet des généraux ne tendait qu’à échapper au roi ou à le fuir. La fortune conduisit mieux les troupes. Dès que le jour parut, elles se mirent en marche, le soleil luisant à leur droite. On comptait qu’au coucher de cet astre on arriverait à des villages de Babylonie, et en cela on ne se trompa pas. Vers le soir on crut voir de la cavalerie ennemie. Ceux des Grecs qui n’étaient pas dans leurs rangs coururent les reprendre. Ariée, qui était monté sur un chariot, parce qu’il était blessé, mit pied à terre, prit sa cuirasse, et ceux qui l’entouraient en firent autant. Pendant qu’ils s’armaient, revinrent les gens envoyés à la découverte. Ils rapportèrent qu’il n’y avait point de cavalerie, et que ce qu’on voyait était des bêtes de somme qui pâturaient. Tout le monde conclut aussitôt que le roi campait près de là, d’autant qu’il paraissait s’élever de la fumée de quelques villages peu éloignés. Cléarque ne marcha point à l’ennemi. Il voyait que ses troupes étaient lasses, à jeun, et qu’il se faisait tard. Il ne se détourna point non plus de peur d’avoir l’air de fuir. Mais s’avançant droit devant lui, il fit camper la tête de la colonne sur le terrain des villages les plus voisins. L’armée du roi en avait tout enlevé, jusqu’aux bois dont les maisons étaient construites. Les premiers venus rangèrent leurs tentes avec assez d’ordre ; les autres n’arrivant qu’à la nuit noire, campèrent au hasard et jetèrent de grands cris, s’appelant les uns les autres. Ces cris furent entendus même des ennemis, et les effrayèrent au point que ceux qui campaient le plus près des Grecs s’enfuirent de leurs tentes. On s’en aperçut le lendemain, car il ne paraissait plus dans les environs ni bête de somme, ni camp, ni fumée. Le roi lui-même, à ce qu’il parut, fut effrayé de la marche des Grecs. Il le prouva par