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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/487

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XÉNOPHON, LIV. II.

ce qu’il fit le jour suivant. La nuit s’avançant, une terreur panique saisit aussi les Grecs. Il survint un tumulte et un bruit tels qu’il s’en élève ordinairement dans ces sortes d’alertes. Cléarque avait par hasard sous sa main l’Éléen Tolmidès, le meilleur des hérauts de ce temps. Il lui dit d’ordonner qu’on fit silence et de proclamer ensuite, de la part des chefs, qu’une récompense d’un talent d’argent était promise à quiconque dénoncerait celui qui avait lâché un âne dans le camp. Quand on l’eut publié, les soldats sentirent que leur terreur était frivole et qu’il n’était rien arrivé à leurs généraux. Dès le point du jour, Cléarque ordonna aux Grecs de se former dans le même ordre où ils étaient le jour de la bataille, et de poser ainsi leurs armes à terre.

On eut alors une preuve évidente de ce que j’ai avancé tout-à-l’heure, que l’arrivée des Grecs avait frappé le roi de terreur. Ce prince, qui leur avait fait ordonner la veille de rendre leurs armes, envoya, dès le lever du soleil, des hérauts proposer un traité. Arrivés aux postes avancés ils demandèrent les généraux. Les grandes gardes le leur firent savoir ; et Cléarque, qui dans ce moment inspectait les rangs des Grecs, ordonna qu’on dît aux hérauts d’attendre jusqu’à ce qu’il eût le temps de leur donner audience. Puis ayant tellement disposé l’armée, que la phalange fût serrée, eût bonne apparence, et qu’aucun des soldats qui manquaient d’armes ne fût en évidence ; il fit appeler les députés du roi et alla lui-même au devant d’eux, escorté des soldats les plus beaux et les mieux armés. Il recommanda aux autres généraux d’en user de même. Quand on fut près des députés, Cléarque leur demanda ce qu’ils voulaient. Les députés dirent qu’ils venaient pour un traité ; qu’ils étaient chargés de rapporter au roi les intentions des Grecs, et autorisés à faire connaître aux Grecs celles du roi. Cléarque répondit : « Rapportez donc à votre monarque qu’il faut d’abord combattre ; car nous n’avons pas au camp de quoi dîner et à moins d’en fournir aux Grecs, personne n’osera leur parler de traité. » Après avoir entendu ces mots, les députés repartirent au galop et revinrent bientôt après, ce qui prouva que le roi n’était pas loin, ou qu’il y avait au moins près de là quelqu’un chargé de ses pouvoirs pour la négociation. « Le roi, dirent les députés, trouve votre demande raisonnable, et nous revenons avec des guides qui, si la trève se conclut, vous conduiront où vous trouverez des vivres. Le roi, demanda Cléarque, offre-t-il dès ce moment sûreté aux négociateurs seulement qui iront le trouver et en reviendront, ou à toute l’armée ? — À toute l’armée, dirent les députés, jusqu’à ce que le roi ait reçu vos propositions. » Après cette réponse, Cléarque les fit éloigner et délibéra avec les généraux. On résolut de conclure promptement ces préliminaires pour marcher aux vivres et s’en fournir sans hostilités. « C’est bien mon avis, dit Cléarque. Je différerai cependant de répondre. Je laisserai aux députés du roi le temps de craindre que nous ne refusions le traité. Je pense que nos soldats n’en auront pas moins d’inquiétude. » Ensuite lorsqu’il crut le moment convenable arrivé, il annonça aux députés qu’il accédait aux préliminaires offerts, et leur dit de le mener aussitôt où étaient les vivres. Ces Perses y conduisirent l’armée.

Cléarque allant conclure le traité, faisait marcher les troupes en bataille, et commandait lui-même l’arrière-garde. On rencontra des fossés et des canaux si pleins d’eau, qu’on ne pouvait les passer