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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/501

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XÉNOPHON, LIV. III.

victoire. Mais peut-être d’autres Grecs que nous ont-ils en ce moment la même pensée ? N’attendons pas, je vous en conjure par les immortels, qu’ils viennent nous trouver, et que ce soient eux qui nous exhortent à une défense honorable ; commençons les premiers à marcher dans le chemin de l’honneur et entraînons-y les autres. Montrez-vous les plus braves des chefs grecs ; montrez-vous plus dignes d’être généraux que nos généraux eux-mêmes. Si vous voulez courir à cette gloire, j’ai dessein de vous suivre ; si vous m’ordonnez de vous y conduire, je ne prétexte point mon âge pour m’en dispenser. Je crois au contraire que la vigueur de la jeunesse ne me rend que plus capable de repousser les maux qui me menacent. » Ainsi parla Xénophon.

Les chefs ayant entendu son discours, lui dirent tous de se mettre à leur tête. Il n’y eut qu’un certain Apollonide, qui affectait de parler le dialecte béotien, qui soutint que c’était déraisonner que de prétendre qu’il y eût d’autre espoir de salut, que de fléchir le roi, s’il était possible ; et il commençait à exposer les difficultés qu’il trouvait à se tirer autrement d’affaire. Xénophon l’interrompit par ces mots : « Ô le plus étonnant des hommes, qui ne concevez pas ce que vous voyez, qui ne vous souvenez pas de ce qui a frappé vos oreilles ! Vous étiez avec nous lorsqu’après la mort de Cyrus, le roi enorgueilli de sa bonne fortune nous fit ordonner de rendre les armes ; mais dès qu’il vit qu’au lieu de les rendre nous nous en étions couverts, que nous avions marché à lui et campé à peu de distance de son armée, que ne fit-il pas pour obtenir la paix ? Il envoya des députés, mendia notre alliance et fournit des vivres d’avance. Nos généraux et nos autres chefs ensuite se fiant sur le traité et ayant été sans armes, comme vous voudriez que nous y allassions encore, s’aboucher avec les Barbares, où en sont-ils maintenant ? Accablés de coups, de blessures, d’outrages, les malheureux ne peuvent obtenir la mort qu’ils implorent sans doute. Vous avez vu tout ce que je dis là, et traitez de vains discoureurs ceux qui parlent de résistance. Vous nous exhorterez à aller encore faire d’inutiles efforts pour fléchir nos ennemis. Mon avis, braves chefs, est de ne plus laisser cet homme prendre rang avec nous, de lui ôter son grade, de lui mettre des bagages sur le dos, et de nous en servir à cette vile fonction ; car il est Grec, mais par ses sentimens il déshonore sa patrie et toute la Grèce. »

Agasias de Stymphale reprit : « Cet homme n’a rien de commun ni avec la Béotie, ni avec la Grèce ; car je lui ai vu les deux oreilles percées comme à un Lydien, » et ce fait était vrai. On le chassa donc, et les autres chefs de lochos marchant le long de la ligne, appelaient le général, s’il était en vie, ou, si le général était mort, ceux qui commandaient sous ses ordres. Tous s’étant assemblés, s’assirent en avant des armes. Les généraux et les autres chefs qui s’y trouvèrent montaient au nombre de cent à-peu-près. Il était alors environ minuit. Hiéronyme Éléen, le plus âgé parmi ceux de la section de Proxène, prit le premier la parole et tint ce discours : « Généraux et chefs de lochos, en jetant les yeux sur notre situation, il nous a paru convenable de nous assembler et de vous appeler pour délibérer ensemble et trouver, si nous le pouvons, quelque expédient avantageux. Redites donc ici, Xénophon, ajouta-t-il, ce que vous nous avez communiqué. » Xénophon parla alors en ces termes :