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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/502

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XÉNOPHON, LIV. III.

« Nous savons tous que le roi et Tissapherne ont fait arrêter autant de Grecs qu’ils ont pu. On ne peut douter qu’ils ne tendent des piéges au reste et ne nous fassent périr s’ils en ont les moyens ; je pense donc qu’il nous faut faire les derniers efforts pour ne point tomber au pouvoir des Barbares, mais pour qu’ils tombent plutôt au nôtre s’il se peut. Soyez bien convaincus qu’il s’en présente, à tous tant que nous sommes ici, la plus belle occasion. Il n’est point de soldats qui n’aient les yeux tournés sur vous ; s’ils vous voient consternés, ils se conduiront tous en lâches ; mais si vous paraissez vous disposer à marcher à l’ennemi et y exhortez le reste de l’armée, sachez et qu’elle vous suivra et qu’elle tâchera de vous imiter. Il est juste que vous différiez un peu du simple soldat : vous êtes les uns ses généraux, les autres commandant les subdivisions des sections placées sous leurs ordres. Pendant la paix on vous considérait plus que le soldat, vous jouissiez d’une plus grande opulence : vous devez donc maintenant, que nous sommes en guerre, vous estimer encore vous-mêmes plus que la multitude qui vous suit. Vous devez prévoir, vous devez travailler pour elle, s’il est nécessaire, et je pense d’abord que vous rendrez un grand service à l’armée de vous occuper à remplacer au plus tôt les généraux et les autres chefs qu’elle a perdus ; car, pour m’expliquer en deux mots, sans eux, rien de glorieux, rien de vigoureux à espérer nulle part, mais surtout à la guerre. La discipline est, à mon avis, le salut des armées : l’indiscipline en a perdu beaucoup. Après avoir élu autant de nouveaux chefs qu’il nous en manque, je pense qu’il sera très à propos que vous rassembliez et encouragiez le reste des Grecs ; car vous avez sans doute remarqué dans quelle consternation étaient plongés les détachemens, et quand ils ont été prendre leurs armes, et quand ils ont marché aux postes avancés. Tant qu’elle durera, je ne sais à quoi sera bon le soldat, soit qu’on ait à l’employez de jour ou de nuit. Mais si l’on détourne ses pensées vers d’autres objets, si on lui fait envisager, non pas seulement le mal qu’il peut souffrir, mais encore celui qu’il peut faire, on relèvera son courage ; car vous savez sans doute qu’à la guerre ce n’est ni la multitude des hommes, ni leur force corporelle qui donnent les victoires ; mais ceux qui, avec les âmes les plus vigoureuses et la protection des Dieux, marchent droit à l’ennemi, trouvent rarement des adversaires qui les attendent, et j’ai fait l’observation suivante : quiconque dans le métier des armes tâche, à quelque prix que ce soit, de prolonger ses jours, meurt presque toujours honteusement et comme un lâche ; mais tous ceux qui regardent la mort comme un mal commun à tous les hommes, et qu’il faut nécessairement subir, qui ne combattent que pour obtenir une fin glorieuse, ce sont ceux-là, dis-je, que je vois surtout parvenir à une longue vieillesse et passer jusqu’à leur trépas les jours les plus heureux. D’après ces réflexions, voici le moment où il faut montrer notre courage et réveiller celui des autres. » Xénophon cessa alors de parler.

Chirisophe prit ensuite la parole, et dit : « Je ne vous connaissais point jusqu’ici, Xénophon ; j’avais seulement entendu dire que vous étiez Athénien. Je loue maintenant et vos discours et vos actions : je voudrais pour le bien de tous les Grecs, que la plupart d’entre eux vous ressemblassent. Ne tar-