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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/514

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XÉNOPHON, LIV. III.

de vivres, si les Barbares prenaient le parti de tout brûler. Chirisophe, avec ses troupes, revenait après avoir porté secours aux Grecs épars, sur qui étaient tombés les Barbares. Xénophon qui descendait de la montagne, courant en ce moment le long des rangs : « Grecs, leur dit-il, vous voyez les Barbares regarder déjà cette contrée comme à nous. Ce sont eux qui transgressent la condition qu’ils nous avaient imposée par le traité de ne rien brûler dans l’empire du roi. Ils y portent le feu comme en pays qu’ils ne possèdent plus ; mais dans quelque lieu qu’ils laissent des vivres pour eux-mêmes, ils nous y verront marcher. Je suis d’avis, Chirisophe, ajouta-t-il, de porter secours, contre ces incendiaires, aux villages qu’ils brûlent, comme à notre bien. — Je ne suis point du tout de votre opinion, dit Chirisophe, mettons-nous plutôt nous-mêmes à brûler : c’est le moyen le plus prompt de faire cesser les Barbares. »

De retour à leurs tentes, les généraux et les chefs de lochos s’assemblèrent, tandis que le soldat s’occupait à chercher des vivres. On se trouvait dans un grand embarras. D’un côté étaient des montagnes excessivement élevées, de l’autre un fleuve si profond, qu’en le sondant avec les piques on n’en pouvait toucher le fond. Un Rhodien vient trouver les généraux qui ne savaient quel parti prendre. « Je me charge de faire passer l’armée, dit-il, et de transporter quatre mille hommes d’infanterie à-la-fois au-delà du Tigre, si vous voulez me fournir les matériaux dont j’ai besoin, et me promettre un talent pour récompense. — De quoi avez-vous besoin, lui demanda-t-on ? — Il me faudra, dit-il, deux mille outres. Mais je vois beaucoup de moutons, de chèvres, de bœufs, d’ânes ; en les écorchant et en soufflant leurs peaux, je vous procurerai un moyen facile de passer. Il me faudra aussi les cordes et les sangles dont vous vous servez aux équipages pour charger les bêtes de somme. Avec ces liens, j’attacherai les outres que j’aurai disposées les unes près des autres ; j’y suspendrai des pierres que je laisserai tomber en guise d’ancres ; puis mettant à l’eau ce radeau, et le contenant des deux côtés par de forts liens, je jetterai dessus des fascines, et sur les fascines de la terre. Vous allez voir que vous ne courrez aucun risque d’enfoncer ; car chaque outre peut soutenir deux hommes, et les fascines recouvertes de terre vous empêcheront de glisser. »

Les généraux ayant prêté l’oreille à cette proposition, jugèrent que l’invention était ingénieuse et l’exécution impossible, car il y avait au-delà du fleuve beaucoup de cavalerie qui aurait empêché les premières troupes, qui l’auraient essayé, de mettre pied à terre, et qui se serait opposée à tout ce qu’on aurait tenté. Le lendemain, les Grecs revinrent sur leurs pas vers Babylone ; ils occupèrent des villages qui n’étaient pas brûlés, et brûlèrent ceux dont ils sortaient. Les Perses ne firent point marcher leur cavalerie contre eux ; ils les contemplaient et paraissaient bien étonnés, ne pouvant concevoir ni où se porteraient leurs ennemis, ni quel projet ils avaient en tête. Pendant que le soldat cherchait des vivres, on convoqua une nouvelle assemblée de généraux et de chefs de lochos, et s’étant fait amener tous les prisonniers qu’on avait faits, on tâcha de tirer d’eux des connaissances sur tous les pays dont on était entouré. Ils dirent que vers le midi, par le chemin que l’armée avait suivi, on retournerait à Babylone et dans la Médie ; que vers l’orient étaient Suse et Ecbatane,

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