Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
514
XÉNOPHON, LIV. IV.

où le roi passe le printemps et l’été ; qu’en traversant le fleuve et tirant au couchant, on marcherait vers l’Ionie et la Lydie ; qu’enfin vers le nord, en s’enfonçant dans les montagnes, on se trouverait dans le pays des Carduques. Ces peuples, disait-on, habitaient un sol montueux, étaient belliqueux, et n’obéissaient point au roi de Perse. On prétendait qu’une armée de cent vingt mille hommes, envoyée par ce prince, avait voulu y pénétrer, et qu’il n’en était pas revenu un seul soldat, à cause de la difficulté des chemins ; on ajoutait que lorsque ces peuples faisaient un traité avec le satrape qui commandait dans la plaine, un commerce libre subsistait alors entre eux et les Perses.

Après ce rapport, les généraux firent séparer les prisonniers qui disaient connaître chaque pays, et ne déclarèrent point quelle route ils voulaient choisir ; mais ils avaient jugé nécessaire de se frayer un chemin dans les montagnes des Carduques ; car on leur avait annoncé qu’après les avoir traversées, ils entreraient en Arménie, pays vaste et fertile où commandait Orontas. De là on prétendait qu’il leur serait facile de se porter où ils voudraient. Ils sacrifièrent ensuite afin qu’il leur fût loisible de partir à l’heure qu’ils jugeraient convenable, car ils craignaient qu’on ne s’emparât d’avance du sommet des montagnes. On fit dire à l’ordre que l’armée, après avoir soupé, pliât ses bagages, puis se reposât, mais fût prête à marcher dès qu’on l’en avertirait.




LIVRE QUATRIÈME.

On a exposé dans les livres précédens ce qui s’est passé dans la marche de Cyrus jusqu’à la bataille, et ce qui est arrivé depuis la bataille, soit pendant la paix faite entre les Grecs et le roi, soit depuis que ce prince et Tissapherne eurent violé le traité, furent en guerre ouverte avec les Grecs, et que l’armée de ce satrape les poursuivit.

Quand les Grecs furent arrivés à l’endroit où la largeur et la profondeur du Tigre leur rendaient le passage de ce fleuve impossible, et où ils ne pouvaient plus le longer (car il n’y avait aucun chemin sur les bords, mais les montagnes des Carduques tombent à pic dans le fleuve), les généraux jugèrent qu’il fallait prendre leur route à travers les montagnes. Ils tenaient des prisonniers, qu’après avoir traversé le territoire montueux des Carduques, ils pourraient, s’ils le voulaient, passer le Tigre en Arménie près de ses sources, ou même les tourner, s’ils le préféraient. Celles de l’Euphrate, disait-on, n’étaient pas éloignées de celles du Tigre ; mais il se trouve en ce pays des défilés. Voici comment se fit l’irruption des Grecs dans le pays des Carduques. On tâcha de décamper secrètement et de prévenir l’ennemi qui aurait pu s’emparer le premier des hauteurs. Vers l’heure où l’on relève pour la dernière fois les sentinelles, comme il ne restait plus aux Grecs que le temps nécessaire pour passer de nuit la plaine, ils levèrent leur camp, et s’étant mis en marche dès que l’ordre en fut donné, ils arrivèrent au pied de la montagne au point du jour. Chirisophe était à la tête de l’armée ; il conduisait sa section et avait avec lui toutes les troupes légères. Xénophon n’en avait point à l’arrière-garde qu’il commandait : elle n’était composée que d’infanterie pesamment armée ; car il ne paraissait pas être à craindre que l’ennemi chargeât la queue de la colonne pendant qu’on monterait. Chirisophe gagna le sommet de la montagne avant qu’aucun ennemi en eût connaissance ; il continua