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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/516

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XÉNOPHON, LIV. IV.

à marcher en avant, et l’armée le suivait à mesure qu’elle était arrivée sur la hauteur. On parvint ainsi à des villages situés dans des gorges et dans des fonds.

Les Carduques abandonnèrent leurs maisons, et avec leurs femmes et leurs enfans s’enfuirent sur les montagnes. On trouva des vivres en abondance. Les maisons étaient garnies de beaucoup de vases d’airain ; les Grecs n’en enlevèrent aucun et ne poursuivirent point les habitans. Ils voulaient, par ces ménagemens, engager, s’ils le pouvaient, les Carduques à les laisser passer comme amis, d’autant que ces peuples étaient en guerre avec le roi ; mais on prit les vivres qu’on trouva : la nécessité y contraignait. Les Carduques ne prêtèrent point l’oreille aux Grecs qui les rappelaient, et ne montrèrent aucune disposition pacifique. L’arrière-garde ne descendit qu’à la nuit dans les villages, car le chemin était si étroit que l’armée avait employé un jour entier à monter au sommet et à descendre le revers de la montagne. Quelques Carduques s’étant rassemblés, tombèrent sur les traîneurs, en tuèrent plusieurs et en blessèrent d’autres avec les flèches et les pierres qu’ils lançaient. Heureusement les Barbares étaient en petit nombre, parce que les Grecs étaient entrés dans leur pays sans qu’ils l’eussent prévu ; car si les Carduques eussent été rassemblés en force, une grande partie de l’armée eût couru risque d’être taillée en pièces. On cantonna ainsi cette nuit dans les villages. Les Carduques allumèrent des feux tout autour sur les pointes des montagnes, et en vue les uns des autres.

Au point du jour, les généraux et les chefs de lochos s’assemblèrent et résolurent de ne garder pour leur marche que les bêtes de somme nécessaires, de trier les meilleures, de laisser le reste, et de donner la liberté à tous les prisonniers que l’armée avait faits récemment et condamnés à l’esclavage ; car la multitude des bêtes d’équipage et des prisonniers rendait la marche lente. Beaucoup de Grecs étaient employés à y donner des ordres ; c’était autant de soldats hors de service : il fallait trouver et porter le double de vivres pour une telle quantité d’hommes. Ce ban ayant été agrée par les généraux, les hérauts le publièrent.

Après dîner, l’armée se mit en marche. Les généraux, s’arrêtant à un défilé, ôtèrent les équipages et les esclaves superflus aux Grecs qui n’avaient pas obéi au ban. Tous se soumirent. Quelques-uns seulement firent passer en fraude ou un jeune garçon, ou une jolie maîtresse. On marcha ainsi toute la journée, repoussant quelquefois l’ennemi, et faisant halte de temps en temps. Le lendemain s’élève un grand orage : il fallut cependant marcher, car il n’y avait plus assez de vivres pour l’armée. Chirisophe la conduisit : Xénophon marcha à l’arrière-garde. On fut assailli vigoureusement par l’ennemi. Les passages étant étroits, les Carduques s’approchaient et tiraient alors avec leurs arcs et leurs frondes. Les Grecs, contraints à les poursuivre et à se retirer ensuite eux-mêmes, ne pouvaient avancer dans leur marche que lentement : souvent, lorsque les ennemis attaquaient vivement, Xénophon demandait que l’armée fit halte. Chirisophe, dès qu’il en était instruit, avait coutume de s’arrêter ; mais il y eut une occasion où il ne s’arrêta pas, marcha au contraire plus vite, et commanda qu’on suivît. Il était clair qu’il se passait quelque chose à la tête, mais Xénophon n’avait pas le loisir de s’y porter pour voir la cause de cette marche précipitée, et l’arrière-garde suivait d’un train qui lui donnait l’air de fuir à toutes jambes.

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