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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/544

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XÉNOPHON, LIV. V.

leur grosseur, et ensuite leur grandeur, il y avait peu de différence ; leur dos était peint de plusieurs couleurs, et, sur le devant de leur corps, on avait dessiné partout et pontillé des fleurs. Ce peuple ne se cachait de rien, et tâchait, aux yeux de toute l’armée, d’obtenir les dernières faveurs des filles qui la suivaient. Tel était l’usage du pays : tous les hommes y étaient blancs et les femmes aussi. Les Grecs dirent que, dans le cours de toute leur expédition, ils n’avaient passé chez aucune nation aussi barbare, et dont les mœurs fussent plus éloignées des leurs. Les Mosynéciens faisaient en public ce dont tous les autres humains se cachent, et s’abstiendraient s’ils étaient vus ; dès qu’ils étaient seuls, au contraire, ils se conduisaient comme s’ils eussent été en société. Ils se parlaient à eux-mêmes ; ils interrompaient leurs monologues par des ris ; puis ils se levaient, et dans quelque endroit qu’ils se trouvassent, ils se mettaient à danser avec l’air de vouloir montrer leur agilité à des spectateurs, quoiqu’ils n’en eussent point.

Les Grecs employèrent huit jours à traverser le pays de leurs ennemis et celui de leurs alliés, et arrivèrent à celui des Chalybes : c’était un peuple peu nombreux et soumis aux Mosynéciens ; la plupart vivaient de leur travail aux mines de fer. On trouva ensuite le pays des Tibaréniens, dont le sol est plus uni ; leurs places sont situées sur le bord de la mer et moins fortes. Les généraux voulaient les attaquer de vive force pour que l’armée y fit du butin, et refusèrent d’abord les dons de l’hospitalité que vinrent leur offrir les députés de ce peuple. On leur dit d’attendre jusqu’à ce qu’on eût délibéré, et on sacrifia. Après avoir immolé beaucoup de victimes, tous les devins s’accordèrent à dire que les Dieux n’avaient témoigné, par aucun indice, qu’ils approuvassent cette guerre. On reçut donc enfin les présens des Tibaréniens ; et ayant marché pendant deux jours, en ménageant leur territoire comme pays ami, l’on arriva à Cotyore, ville grecque, colonie de Sinope, et située dans le pays des Tibaréniens.

Jusque-là l’armée ne s’était point embarquée, et voici le calcul du chemin qu’elle avait parcouru à son retour, depuis le champ de bataille où Cyrus fut tué, jusqu’à Cotyore. En cent vingt-deux marches, elle avait fait six cent vingt parasanges, ou dix-huit mille vingt stades, dans l’espace de huit mois ; elle séjourna près de Cotyore quarante-cinq jours, pendant lesquels on offrit d’abord des sacrifices aux Dieux. Chaque nation grecque fit séparément une procession solennelle, et s’exerça à des combats gymniques. On allait prendre des vivres, soit dans la Paphlagonie, soit dans le territoire de Cotyore ; car les habitans de cette ville n’en faisaient pas trouver aux Grecs à prix d’argent, et ne voulaient point recevoir les malades de l’armée dans l’enceinte de la place.

Il arrive alors des députés de Sinope ; ils craignaient et pour la ville de Cotyore qui dépendait d’eux et leur payait tribut, et pour son territoire qu’ils avaient ouï dire qu’on ravageait. Ils vinrent au camp et parlèrent ainsi, par l’organe d’Hécatonyme, qui passait pour un homme eloquent : « Soldats, la ville de Sinope nous a envoyés pour vous complimenter, vous qui êtes des Grecs, d’avoir vaincu les Barbares, et pour vous féliciter de ce que vous êtes enfin ici, ayant surmonté, si l’on en croit la renommée, un grand nombre de formidables obstacles. Nous sommes Grecs comme vous, et il serait juste qu’à ce titre nous eussions quelque sujet de nous louer de vous, et n’en