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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/551

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XÉNOPHON, LIV. V.

chure du Phase. Écoutez-moi donc, je vous en conjure par les immortels. Si je suis coupable, il ne faut point que sorte d’ici sans en être puni ; s’il vous paraît au contraire que mes accusateurs m’ont calomnié, traitez-les comme vous jugerez qu’ils le méritent. Vous savez où le soleil se couche et où il se lève ; vous n’ignore pas que c’est vers l’occident que doit faire route celui qui veut aller en Grèce, et que pour retourner chez les Barbares il faut au contraire tourner la proue vers l’orient. Y a-t-il quelqu’un qui pût vous abuser au point de vous faire croire que l’orient est où le soleil se couche et l’occident où il se lève ? Nous savons de plus que le vent de nord est favorable aux vaisseaux qui sortent de l’Euxin pour revenir en Grèce, et que le vent de midi est le meilleur pour entrer dans le Phase. Vous dites vous-mêmes, quand c’est l’aquilon qui souffle, voilà un beau temps pour revenir par mer dans notre patrie ! Quel moyen donc de vous tromper et de vous engager à vous embarquer par un vent de midi ? Mais je vous ferai peut-être monter à bord pendant un calme ? Naviguerai-je donc sur plus d’un vaisseau, et ne vous trouverez-vous pas partagés sur plus de cent autres ? Comment m’y prendrais-je, ou pour vous faire violence, ou pour vous induire en erreur, si vous ne vouliez pas faire la même navigation que moi ? Je suppose même qu’abusés et ensorcelés pour ainsi dire par mes artifices, vous arrivez avec moi dans le Phase ; nous descendons enfin à terre ; vous reconnaîtrez au moins alors que vous n’êtes pas en Grèce, et le perfide qui vous aura trompé se trouvera au milieu de près de dix mille Grecs couverts de leurs armes. Un homme pourrait-il mieux s’assurer un châtiment sévère qu’en formant de tels complots contre vous et contre lui-même ? Vous ajoutez foi à de vains propos tenus par des gens insensés, jaloux de votre général et des honneurs que vous lui rendez. Je n’ai pas merité cependant d’être en butte aux envieux. Qui empêchai-je d’exposer un avis utile à l’armée, de combattre pour votre salut et pour le sien, de veiller à la sûreté commune et d’en prendre un soin particulier ? Eh quoi ! si vous voulez élire d’autres généraux, quelqu’un croit-il que je l’exclurai de ce grade ? Je me retire. Qu’un autre de vous commande ! seulement qu’il fasse le bien de l’armée ! Mais ce que j’ai dit à ce sujet me suffit. S’il est un Grec qui croie encore avoir été trompé ou qui présume qu’on puisse en tromper d’autres, qu’il prenne la parole, qu’il vous instruise de l’objet de ses craintes. Quand vous aurez assez discuté cette matière, ne vous séparez pas que je ne vous aie parlé de ce que je remarque dans l’armée : ce sont les germes d’un mal plus réel. S’il doit s’étendre et devenir aussi violent qu’on a droit de le conjecturer, il est bien temps certainement de délibérer sur nos affaires : tâchons de ne pas passer pour les plus scélérats des mortels, de ne nous pas couvrir de honte devant les Dieux, devant les hommes amis et ennemis, et de ne nous pas universellement mépriser. » Les soldats ne comprirent point ce que signifiaient ces mots ; ils en parurent étonnés et dirent à Xenophon de s’expliquer. Il recommença à parler en ces termes :

« Vous savez bien qu’il y avait dans les montagnes des Barbares des bourgades alliés de Cérasunte, d’où quelques habitans descendaient et venaient vous vendre du bétail, et les autres denrées qu’ils avaient ; il me semble même que plusieurs de vous ont été