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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/552

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XÉNOPHON, LIV. V.

dans la plus voisine de ces bourgades, et sont revenus au camp après avoir acheté ce dont ils avaient besoin. Cléarate, chef de lochos, ayant été informé qu’elle était petite et se gardait mal, parce qu’elle se reposait sur la foi des traités, y marcha de nuit sans en prévenir aucun des généraux, avec intention de la piller ; il avait dessein, s’il s’en rendait maître, de ne plus revenir à l’armée, mais de monter à bord d’un bâtiment sur lequel ses camarades de chambrée longeaient la côte, d’y charger son butin, de mettre à la voile et de sortir de l’Euxin. Ses camarades dont je vous parle, qui étaient sur le navire, savaient le projet du chef, et en étaient complices : je viens d’en être informé. Cléarate s’associa tous les Grecs qu’il put engager à le suivre, et les mena droit à la place, mais le jour ayant paru avant qu’on fut arrivé aux portes, les Barbares se rassemblent, occupent des lieux fortifiés par la nature, d’où frappant les Grecs et leur lançant des traits, ils tuent Cléarate et beaucoup des siens : quelques-uns fuient et arrivent à Cérasunte ; cela se passait le jour même que nous nous mîmes en marche pour venir ici. Plusieurs des Grecs qui nous devaient suivre par mer étaient encore dans Cérasunte, et leurs navires n’avaient point levé l’ancré. Il y arriva ensuite, à ce que disent les habitans de Cérasunte, trois vieillards députés de la bourgade qu’on avait voulu insulter. Ils nous cherchaient ; ne nous ayant plus trouvés, ils témoignèrent aux Cérasuntiens qu’ils étaient étonnés et qu’ils ne concevaient pas quel motif nous avait fait marcher contre eux. Les Cérasuntiens disent leur avoir répondu que l’attaque ne s’était point faite d’après une résolution publique, mais que des particuliers s’étaient portés à cet attentat. Ils assurent que les Barbares en témoignèrent une vive joie, qu’ils allaient s’embarquer pour venir ici nous raconter ce qui s’était passé, et qu’ils invitèrent ceux des Grecs qui le souhaiteraient à aller ensevelir les morts. Quelques-uns des fuyards se trouvaient encore à Cérasunte ; ils surent le projet des Barbares ; ils osèrent leur jeter des pierres et exhorter d’autres Grecs à les imiter. Les trois malheureux députés sont restés sur la place et ont été lapidés. Après cet assassinat, quelques Cérasuntiens vinrent nous trouver et nous firent un récit exact de l’événement : leur rapport m’affligea ainsi que les autres généraux. Nous délibérions avec ces étrangers sur les moyens de donner la sépulture aux cadavres de nos compatriotes, et nous étions ensemble assis à la tête du camp, en avant des armes, quand tout-à-coup nous entendons de grands cris : frappe, frappe, jette, jette. Nous voyons bientôt beaucoup de Grecs accourir ; les uns tenaient des pierres dans leurs mains, d’autres en ramassaient par terre. Les Cérasuntiens, témoins de ce qui s’était passé dans leur ville, s’effraient et se retirent vers les vaisseaux. Que dis-je ! par Jupiter ! quelques-uns de nous-mêmes n’étaient pas sans crainte. Je m’avançai vers les séditieux et leur demandai de quoi il s’agissait ; il y en avait beaucoup qui l’ignoraient et qui cependant tenaient des pierres. Je m’adressai enfin à un soldat qui était au fait ; il me répondit que les commissaires des vivres vexaient horriblement l’armée. Pendant que cet homme me parle, un autre aperçoit le commissaire Zélarque qui se retirait vers le rivage et il jette un grand cri. Dès que la multitude l’a entendu, elle court sur Zélarque comme sur un san-