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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/585

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XÉNOPHON, LIV. VII.

flûte et sonnent avec des trompettes faites de cuir de bœuf cru ; ils observent la mesure et leurs trompettes ont le son d’un instrument à corde. Seuthès lui-même se leva, jeta le cri de guerre et s’élança très légèrement, faisant semblant d’éviter l’atteinte d’un trait. On fit entrer aussi des bouffons.

Le soleil était près de se coucher ; les Grecs se levèrent de table et dirent qu’il était heure de poser les gardes du soir et de donner le mot. Ils prièrent Seuthès d’ordonner qu’il n’entrât de nuit dans leurs cantonnemens aucun Thrace. « Car nos ennemis, dirent-ils, sont Thraces ainsi que vous qui êtes nos alliés, et l’on pourrait s’y méprendre. » Dès que les Grecs sortirent, Seuthès se leva aussi. Il n’avait point du tout l’air d’un homme ivre ; il sortit, rappela les généraux et leur dit : « Les ennemis ne sont point encore instruits de notre alliance ; si nous marchons à eux avant qu’ils se gardent contre nos incursions et se préparent à nous résister, c’est le moyen de faire plus de prisonniers et de butin. » Les généraux approuvèrent son avis et le pressèrent de les y mener. « Préparez-vous à marcher, leur dit-il, et attendez-moi ; j’irai vous trouver lorsqu’il sera heure de partir ; je prendrai des armés à la légère et vos troupes, et avec l’aide des Dieux je vous conduirai contre l’ennemi. » Xénophon lui répondit : « Puisqu’il faut marcher de nuit, considérez si l’usage des Grecs ne vaudrait pas mieux que le vôtre. De jour, c’est la nature du pays qui décide du genre des troupes qui font la tête de la colonne ; tantôt c’est l’infanterie, tantôt la cavalerie. Mais la nuit, notre règle est que les troupes les plus pesantes soient en avant. Par-là, il est rare que l’armée se sépare ; on n’est guère exposé à se trouver les uns loin des autres sans le savoir. Souvent des troupes qui se sont ainsi divisées dans l’obscurité tombent ensuite les unes sur les autres, ne se reconnaissent point, et se font réciproquement beaucoup de mal. » Seuthès reprit : « Votre réflexion est juste ; j’adopterai votre usage. Je vous donnerai pour guides ceux des gens les plus âgés du pays ; qui le connaissent le mieux. Je vous suivrai moi-même, et ferai l’arrière-garde avec la cavalerie ; je me serai bientôt porté à la tête de la colonne, s’il en est besoin. » Les Athéniens donnèrent ensuite le mot, à cause de leur parente avec Seuthès. Cet entretien fini, on alla reposer.

Il était environ minuit quand Seuthès vint ; sa cavalerie cuirassée, et son infanterie légère couverte de ses armes, l’accompagnaient ; il remit aux Grecs les guides ; les hoplites prirent ensuite la tête ; les armés à la légère suivirent ; la cavalerie fit l’arrière-garde. Quand il fut jour, Seuthès gagna le devant et se loua de l’ordre de marche des Grecs ; il avoua que, plusieurs fois, dans des marches de nuit, quoiqu’il n’eût que peu de troupes, sa cavalerie s’était séparée de l’infanterie, « et maintenant, à la pointe du jour, nous nous retrouvons comme il le faut tous ensemble et en ordre. Attendez-moi ici et reposez-vous ; je vais faire une reconnaissance, et je vous rejoindrai ensuite. » Il piqua alors à travers la montagne, le long d’un chemin. Étant arrivé à un endroit où il y avait beaucoup de neige, il regarda dans le chemin s’il ne découvrirait point de pas d’hommes tournés de son côté, ou de celui de l’ennemi. Comme il vit que la route n’était pas frayée, il revint promptement sur ses pas, et dit aux Grecs : « Nous aurons, s’il plaît aux Dieux, quelque succès : nous allons surprendre l’ennemi. Je conduirai en avant la cavalerie pour arrêter tout ce que