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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/586

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XÉNOPHON, LIV. VII.

nous verrons, de peur qu’on ne donne avis de notre irruption : suivez-moi. Si vous restez en arrière, la trace des chevaux vous guidera. Quand nous serons parvenus au sommet de ces montagnes, nous trouverons au revers beaucoup de villages opulens. »

Il était environ midi quand Seuthès eut gagné la hauteur et découvrit dans le vallon les villages ; il revint au galop à l’infanterie. « Je vais, dit-il, faire descendre rapidement la cavalerie dans la plaine, et diriger les armés à la légère sur les villages. Suivez, le plus vite que vous pourrez, pour soutenir ces troupes si elles trouvaient quelque résistance. » Xénophon, ayant entendu cet ordre, mit pied à terre. « Pourquoi descendez-vous de cheval, dit Seuthès, puisqu’il faut faire diligence ? — Je sais fort bien, répondit Xénophon, que ce n’est pas de moi seul que vous avez besoin là-bas, et ces soldats en courront plus vite et avec plus de zèle quand ils me verront à pied à leur tête. »

Seuthès s’éloigna ensuite, et emmena Timasion avec le petit escadron grec, d’environ quarante chevaux, qui était à ses ordres. Xénophon ordonna aux soldats agiles et qui avaient moins de trente ans, de sortir de leurs rangs ; il les prit avec lui, et courut en avant. Cléanor conduisit le reste des troupes grecques. Quand elles furent dans les villages, Seuthès vint à elles avec environ cinquante chevaux, et dit à Xénophon : « Ce que vous avez prédit est arrivé ; nous avons fait les habitans prisonniers ; mais ma cavalerie m’a abandonné, et s’est éparpillée à la poursuite des fuyards ; l’un est allé d’un côté, l’autre de l’autre. Je crains que l’ennemi ne s’arrête, et ne se rallie en quelque endroit, et qu’il ne traite mal ces troupes dispersées. Il faut aussi laisser du monde dans les villages ; car ils sont pleins d’habitans. — Je vais, dit Xénophon, avec les soldats qui me suivent, m’emparer des hauteurs. Dites à Cléanor de former une ligne dans la plaine en avant, mais près des villages, pour les couvrir. » Cette manœuvre ayant été exécutée, on rassembla mille prisonniers, deux mille bêtes à cornes, et dix mille têtes de menu bétail. L’armée passa la nuit dans ce lieu.

Le lendemain, Seuthès brûla, de fond en comble, les villages, et n’y laissa aucune maison, il voulait par là jeter la terreur dans le pays, et faire sentir aux habitans du voisinage quel sort les attendait s’ils ne se soumettaient pas à lui. Il partit ensuite, et envoya Héraclide à Périnthe, avec le butin, pour en faire de l’argent et avoir de quoi payer la solde de l’armée. Lui-même, avec les Grecs, alla prendre un camp dans la plaine des Thyniens. Ces peuples quittèrent leurs habitations et se réfugièrent dans les montagnes.

Il y avait beaucoup de neige, et il faisait un temps si dur, que l’eau qu’on apportait pour le souper gela en chemin ; il en arriva autant au vin dans les vases qui le contenaient, et beaucoup de Grecs eurent le nez et les oreilles brûlés par l’excès du froid. On vit alors clairement pourquoi les Thraces mettaient sur leurs têtes des fourrures de renard qui leur couvraient les oreilles ; pourquoi ils portaient à cheval des tuniques qui ne croisaient pas seulement sur leur poitrine, mais enveloppaient leurs cuisses ; et au lieu de chlamys, de longs vêtemens qui leur descendaient jusqu’aux pieds. Seuthès délivra quelques prisonniers, les envoya sur les montagnes, et fit dire par eux aux paysans que s’ils ne revenaient pas habiter leurs maisons et vivre soumis à ses lois, il brûlerait leurs villages, leurs provisions, et qu’ils mourraient de faim. Sur ces menaces, les