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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/591

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XÉNOPHON, LIV. VII.

à parler en ces termes : « Lacédémoniens, nous serions depuis long-temps avec vous, si Xénophon ne nous eût persuadé de venir ici ; nous y avons passe l’hiver le plus dur, à faire, nuit et jour, la guerre sans avoir rien gagné. C’est lui qui jouit du fruit de nos travaux. Seuthès l’a personnellement enrichi, et nous refuse injustement la solde qui nous est due. Oui, ajouta ce premier orateur, oui, pour moi je croirais avoir reçu ma paie, et je ne regretterais plus les fatigues que j’ai essuyées, si je voyais Xénophon lapidé et puni des malheurs où il nous a entraîné. » Un autre Grec se leva alors et parla sur le même ton ; puis un troisième ; Xénophon tint ensuite ce discours :

« Certes un homme doit s’attendre à tout, puisque vous m’imputez aujourd’hui à crime ce que je regarde au fond de ma conscience comme la plus grande preuve de zèle que j’aie pu jamais vous donner. J’étais déjà en route pour retourner dans ma patrie ; je suis revenu sur mes pas, et par Jupiter ! ce n’était point pour partager votre prospérité ; j’avais au contraire appris dans quelle détresse vous vous trouviez, et je suis accouru pour vous rendre encore quelque service, s’il m’était possible. Dès que je fus de retour, Seuthès, que vous voyez, m’envoya courrier sur courrier, me fit les plus belles promesses, et désira en vain que je vous engageasse à venir joindre son armée. Je n’entrepris point alors de vous le persuader, et vous le savez tous ; je vous menai droit au port, d’où je croyais que nous passerions plus facilement et plus vite en Asie. Je trouvais ce dessein le plus avantageux de tous pour vous, et je savais que vous l’aviez adopté. Aristarque vint avec des galères, et nous empêcha de traverser la Propontide. Je vous convoquai aussitôt, comme il était juste, pour délibérer sur le parti qu’il fallait prendre. Vous entendîtes les ordres d’Aristarque qui vous commandait de marcher vers la Chersonèse ; vous entendîtes les propositions de Seuthès qui vous priait de vous joindre à lui comme auxiliaires. Tous vos discours, tous vos suffrages ne se réunirent-ils pas pour ce Thrace ? Dites-moi quel crime j’ai commis alors envers vous, de vous conduire où vous aviez tous résolu d’aller. Si je prenais le parti de Seuthès, depuis qu’il a commencé à vous jouer, et a éludé de payer votre solde, je mériterais vos reproches et votre haine ; mais si après avoir été le plus avant dans ses bonnes grâces, je me suis brouillé sans ménagement avec ce prince, pour vous avoir préférés à lui, est-il juste que ce soit vous qui me fassiez un crime de cette cause de notre rupture ? Me direz-vous que cette brouillerie apparente n’est qu’un artifice, et qu’une partie de ce qui vous appartenait légitimement a été employée pour me gagner ? Mais il est évident que, par des largesses secrètes, Seuthès n’a pas entendu perdre ce qu’il me donnait, et être obligé en même temps de s’acquitter de ce qu’il vous devait ; il m’aura, d’après cette supposition, donné une légère somme, afin que je le dispensasse de vous en payer une plus considérable. Si telle est votre idée, vous pouvez, dans le moment même, nous frustrer tous les deux du fruit des complots que nous avons tramés contre vous. Exigez de Seuthès jusqu’à la dernière obole de la solde qui vous est due ; alors, certainement si j’ai tiré quelque argent de lui, il me le redemandera, et en aura le droit, puisque je n’accomplirai pas la condition sous