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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/592

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XÉNOPHON, LIV. VII.

laquelle j’ai reçu. Mais je crois être fort loin d’avoir touché ce qui vous appartenait ; j’en jure par tous les Dieux et par toutes les Déesses, ce qui devait me revenir en particulier, d’après les promesses que nous a faites Seuthès, ne m’est point encore payé ; il est devant vous ce Seuthès, il m’entend, et, dans le fond de son cœur, il sait si je me parjure. Pour vous étonner davantage, je fais encore serment que je n’ai pas touché autant que les autres généraux, pas même autant que quelques-uns des chefs de lochos. Pourquoi me suis-je conduit ainsi ? je vais vous le dire, soldats : j’espérais que plus je partagerais avec Seuthès son indigence, plus je pourrais compter sur son amitié, quand il lui serait devenu facile de m’en donner des preuves. Je le vois prospérer, et je connais enfin quel est son but ; mais, m’objectera-t-on peut-être, n’avez-vous point honte d’avoir été joué comme le plus imbécile des hommes ? J’en rougirais, par Jupiter ! si c’eût été un ennemi qui m’eût ainsi abusé ; mais, entre amis, il me paraît plus honteux de tromper que d’être trompé ; au reste, puisqu’il faut être en garde contre ses amis, je sais au moins que vous avez mieux observé cette maxime que moi, et que vous vous êtes tous bien gardés de donner à Seuthès le moindre prétexte de vous refuser ce qu’il vous a promis ; nous ne lui avons fait tort en rien ; dès qu’il nous a appelés à quelque expédition, nous n’avons montré ni paresse, ni lâcheté. Mais, me direz-vous, il fallait exiger de lui des gages qui l’empêchassent de nous tromper quand il l’aurait voulu ? Écoutez ce que j’ai à répondre à cette objection, et ce que je ne dirais jamais en présence de Seuthès, si vous ne me paraissiez être ou tout-à-fait déraisonnables, ou ingrats au dernier point envers moi. Souvenez-vous des extrémités où vous étiez réduits, et dont je vous ai tirés en vous menant à Seuthès. Aristarque, Lacédémonien, n’avait-il pas fermé les portes de Périnthe, et ne vous empêchait-il pas d’entrer dans la ville quand vous vous y présentiez ? Ne campiez-vous pas hors des murs au bivouac et exposés à toutes les injures de l’air ? N’était-on pas au cœur de l’hiver ? Ne vous fallait-il pas payer au marché votre subsistance ? Les vivres, même à prix d’argent, y étaient-ils en abondance, et aviez-vous bien suffisamment de quoi vous en procurer ? Vous étiez cependant contraints de rester en Thrace. Des galères en rade vous barraient la traverse de la Propontide. Demeurant en Europe, il fallait être en pays ennemi, et les Thraces vous opposaient une cavalerie et une infanterie légère nombreuse. Nous avions à la vérité de l’infanterie pesante, et en nous portant en force sur des villages, nous aurions peut-être pris quelques grains ; mais notre butin aurait été peu de chose ; nous n’avions point de troupes capables de poursuivre l’ennemi, de faire des prisonniers, d’arrêter des bestiaux ; car lorsque je vous ai rejoints, je n’ai retrouvé à votre camp ni cavalerie, ni armés à la légère. Supposé que voyant l’extrême détresse où vous étiez, je n’eusse point exigé de solde et que je me fusse contenté de vous donner pour allié Seuthès, qui avait à ses ordres ce dont vous manquiez, de la cavalerie et des armés à la légère, croyez-vous que j’eusse fait un traité nuisible pour vous ? Dès que vous avez été réunis à ses troupes, vous avez obligé les Thraces à fuir avec plus de célérité ; de là, plus de grains se sont trouvés dans les villages ; on a fait des