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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/597

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XÉNOPHON, LIV. VII.

aisément que d’autres l’argent à la main. Rappelez-vous si vous nous aviez rien avancé lorsque nous avons fait alliance avec vous : je puis certifier que non. Ce fut donc par la confiance qu’on avait dans votre sincérité, que vous engageâtes une armée nombreuse à joindre ses armes aux vôtres, et à vous soumettre un empire qui ne vaut pas seulement cinquante talens, somme à laquelle les Grecs évaluent ce qui leur reste dû, mais des trésors bien plus considérables, et c’est par une avarice sordide, et pour retenir ces cinquante talens, que vous prostituez votre foi qui vous a valu votre couronne. Rappelez-vous encore quelle importance vous mettiez à conquérir le pays qui vous est enfin soumis. Je suis sûr que vous désiriez beaucoup plus alors de réussir glorieusement dans votre entreprise, comme il vous est arrivé, que de posséder le centuple de l’argent que vous nous refusez. Or, il me semble que comme il est plus fâcheux de retomber de la richesse dans la pauvreté, qu’il ne le serait de n’être jamais sorti de l’indigence ; que comme il est plus humiliant de redevenir particulier en descendant du trône, qu’il ne le serait de n’y être jamais monté ; il me semble, dis-je, que ce serait de même un plus grand malheur et une plus grande tache dans votre vie d’être dépouillé de ce que vous possédez, que de n’en avoir joui. Vous savez que ce n’a pas été par inclination que vos peuples se sont soumis à votre domination, que leur impuissance seule les y a contraints ; et vous ne doutez pas qu’ils ne fissent de nouveaux efforts pour recouvrer leur liberté, si la terreur de vos armes ne les contenait dans le devoir ; mais cette terreur, ne croyez-vous pas la leur inspirer plutôt, et les attacher davantage à votre empire, en leur faisant voir nos troupes disposées à rester sous vos ordres, si vous l’ordonnez ; à revenir promptement à votre secours, s’il en est besoin ; et tous ceux qui nous entendront parler de vous avec éloge, prêts à se ranger sous vos drapeaux, et à seconder vos desseins quels qu’ils soient ; qu’en faisant présumer à vos nouveaux sujets que personne ne voudra désormais joindre ses armes aux vôtres, parce qu’on craindra d’après ce qui s’est passé, d’éprouver votre ingratitude et votre infidélité, et que nous sommes déjà nous-mêmes mieux intentionnés pour eux que pour vous ? Ce n’a pas été d’ailleurs parce que les Thraces nous étaient inférieurs en nombre, qu’ils ont subi le joug, mais parce qu’ils manquaient de chefs. Vous avez donc à craindre qu’ils ne s’en choisissent aujourd’hui parmi ces Grecs qui croient avoir à se plaindre de vous, qu’ils ne mettent à leur tête les Lacédémoniens mêmes, plus puissans que le reste de la Grèce ; et ceux-ci qui ont besoin de notre armée se prêteront à de tels desseins, si les soldats leur promettent de les suivre avec plus de zèle, lorsqu’ils auront tiré de vous la somme qu’on réclame. Il est d’ailleurs évident que les Thraces mêmes, que vous avez subjugués, prendraient les armes contre vous plus volontiers qu’ils ne marcheraient pour vous servir ; car tant que vous triompherez, ils resteront esclaves, et dès que vous serez vaincu ils recouvreront leur liberté. Croyez-vous devoir déjà considérer l’avantage et les vrais intérêts de votre nouvelle conquête ? Songez que la contrée sera plus ménagée, si nos soldats payés de ce qu’ils prétendent, en sortent pacifiquement, que s’ils s’obstinent à y rester comme en pays ennemi, et s’ils vous obligent à